Maria vient d'être licenciée pour inaptitude médicale. Femme de ménage dans une résidence privée depuis une trentaine d'années, elle souffre d'une déchirure de la coiffe des rotateurs, un trouble musculo-squettique (TMS) très invalidant. Grâce à l'intervention de la Fnath, Association des accidentés de la vie, elle devrait percevoir une petite rente pour cette maladie professionnelle. " Actuellement, je touche 600 euros par mois d'indemnités de préretraite, car je n'ai pas pu avoir tous mes trimestres. Nous avons vraiment du mal à joindre les deux bouts ", déplore-t-elle. Il faut dire que son mari, Joachim, carreleur puis jardinier, a lui aussi été licencié pour un TMS professionnel. Moins handicapé que Maria, il a reçu en tout et pour tout une indemnité forfaitaire d'un peu plus de 3 000 euros. " Je me sens diminuée dans la vie quotidienne, confie Maria, des larmes dans la voix. Je n'arrive plus à ouvrir une bouteille d'eau, je ne peux pas conduire, je n'ai plus aucune force dans le bras. Et, surtout, j'ai toujours très mal. "
Une indemnisation progressive
Lorsqu'une maladie est reconnue professionnelle, une indemnité en capital forfaitaire est attribuée à la victime si son taux d'incapacité permanente partielle (IPP) est inférieur à 10 %. Cette indemnité va de 378 euros pour 1 % de taux d'IPP à 3 781 euros pour 9 %. Si le taux d'IPP de la victime est supérieur ou égal à 10 %, une rente viagère lui est attribuée. Avec un taux d'IPP compris entre 10 % et 50 %, ce qui est le cas le plus fréquent, la rente est égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité réduit de moitié. Soit, pour un taux d'IPP de 30 %, une rente égale à 15 % du salaire annuel. Au-delà de 50 % d'IPP, le calcul de la rente réduit l'écart entre celle-ci et le salaire annuel, pour aboutir à 100 % de ce dernier avec un taux d'IPP de 100 %.
Un phénomène massif
Elles sont femmes de ménage, travaillent dans la grande distribution ou d'autres secteurs d'activité ; ils sont ouvriers, notamment du bâtiment, ou manutentionnaires. Elles ou ils ont souvent plus de 50 ans, ont travaillé durement pendant des années et souffrent de TMS. " Nous recevons beaucoup de personnes licenciées pour inaptitude en raison de troubles musculo-squelettiques professionnels ", témoigne Michèle Chataigner, de l'antenne parisienne de la Fnath. " Ces personnes ont d'énormes difficultés à se réinsérer dans le monde du travail, elles se retrouvent vite en situation financière très difficile. C'est une catastrophe humaine dont on parle peu ", s'émeut-elle. Combien sont-ils, ces travailleurs victimes de TMS et exclus du monde du travail ? Les statistiques ne sont pas disponibles, mais le recoupement de différentes données permet de penser que ces situations sont loin d'être marginales.
Déjà, les TMS, même s'ils restent encore sous-déclarés, représentent de loin la première cause de maladie professionnelle, avec 32 500 pathologies indemnisées en 2006. Par ailleurs, le rapport Gosselin sur l'inaptitude (voir " A lire ") souligne que celle-ci est un " phénomène massif " : près d'un demi-million d'avis d'inaptitude ont été délivrés en 2004 par les médecins du travail, dont plus de la moitié sont définitifs. Deux études récentes citées dans le même rapport identifient les TMS, professionnels ou non, comme les affections les plus souvent à l'origine de l'inaptitude. Et lorsqu'une telle inaptitude est prononcée, entre 60 % et 95 % des salariés, selon les différentes enquêtes, se retrouvent demandeurs d'emploi.
" Aucun effort pour me garder "
Pourtant, selon le Code du travail, l'employeur est tenu de proposer un aménagement de poste ou de reclasser les salariés déclarés inaptes par le médecin du travail. Mais, trop souvent, les entreprises préfèrent se débarrasser de ces salariés, en invoquant une impossibilité de reclassement. M. R., conducteur d'engins, souffre d'une épicondylite du coude, reconnue professionnelle. Il a été déclaré inapte à son poste de travail et bénéficie du statut de travailleur handicapé. Son employeur lui a proposé un autre poste, à la bascule, mais les mouvements du bras nécessités par ce travail l'ont fait rechuter. Aujourd'hui, à 54 ans, il est menacé de licenciement et s'attend au pire. " Je travaille depuis vingt-sept ans dans ce groupe, et ils ne font aucun effort pour me garder ", soupire-t-il. Son cas n'est pas unique. Une étude conduite à Bagneux, en région parisienne, par une équipe de l'ACMS, service interentreprises de santé au travail, indique que seulement 8 % des 174 salariés ayant fait l'objet d'un avis d'inaptitude sont encore dans leur entreprise deux ans après.
Afin de mieux cerner les difficultés de maintien dans l'emploi, la Fnath a lancé une enquête auprès d'une centaine de victimes. Les premiers résultats montrent que nombre de salariés ont été licenciés pour inaptitude, alors qu'ils auraient pu bénéficier d'un reclassement ou d'un aménagement de poste. " Dans les situations que nous avons pu analyser, le médecin du travail a anticipé les résistances de l'employeur et n'a pas cherché de solution ", remarque Jean-Yves Blum Le Coat, sociologue et chargé de mission pour cette enquête. Marie Pascual, médecin du travail participant à l'étude, porte le même regard critique sur l'attitude de ses collègues. " Beaucoup interviennent trop tard, quand la situation est très dégradée, alors qu'un mi-temps thérapeutique ou un aménagement de poste auraient pu suffire à maintenir le salarié souffrant de TMS dans son entreprise ", ajoute-t-elle.
Théoriquement, les salariés pour lesquels un avis d'inaptitude a été prononcé peuvent bénéficier du statut de travailleur handicapé et du dispositif de maintien dans l'emploi de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph). Le rapport Gosselin, cité plus haut, rappelle cependant que le dernier bilan d'activité des organismes de maintien dans l'emploi financés par l'Agefiph n'est que de 9 176 maintiens effectifs en 2004, un chiffre qu'il rapporte au million de " problèmes d'aptitude " détectés la même année par les médecins du travail. " La bataille sur les TMS, c'est vraiment bien le maintien dans l'emploi ", résume Marie Pascual.
Une perte de revenus
Mme V. était brocheuse dans une entreprise de presse depuis vingt-cinq ans. Opérée deux fois pour un syndrome du canal carpien, reconnu professionnel en 2005, elle a été licenciée fin 2006 pour inaptitude médicale à son poste de travail. Aujourd'hui âgée de 52 ans, sans grande qualification professionnelle, elle cherche en vain un nouveau travail. " Mes revenus ont chuté de 400 euros. Je touche encore pour quelques mois les allocations chômage, mais que se passera-t-il ensuite ? ", désespère-t-elle. Son taux d'incapacité permanente partielle (IPP), évalué à 12 %, va lui permettre de toucher une rente équivalente à 6 % de son salaire annuel, loin de compenser la diminution de ses revenus.
En cas de perte d'emploi, un coefficient professionnel peut être appliqué, mais il l'est rarement. " Ce coefficient professionnel, qui relève le taux d'IPP de quelques pour cent, est plus symbolique qu'autre chose. Il ne permet en aucune façon de compenser la perte de salaire des victimes ", rappelle Marie Pascual. Les taux d'IPP sont évalués par les médecins-conseils des caisses. " Ceux-ci ont vraiment tendance à tirer vers le bas le taux d'IPP, et de fait l'indemnisation qui en découle ", observe Lucien Privet, médecin et conseiller médical pour des permanences de la CFDT sur les maladies professionnelles. Ce dernier prépare les arguments médicaux des syndicalistes qui accompagnent les salariés devant les tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI). " La douleur est souvent très mal prise en compte par les caisses. C'est une vraie bataille que celle de la faire reconnaître dans les taux d'incapacité ", ajoute-t-il. Nombre de victimes qui ont contesté leur taux d'IPP, avec l'aide de la Fnath ou des syndicats, témoignent de leurs difficultés. " C'est moi la victime et j'ai l'impression que le médecin-conseil me considère comme une tire-au-flanc ", s'indigne Mme V.
Pour une vraie réparation
Compte tenu des maigres rentes accordées par le système de réparation, le régime de l'invalidité peut sembler plus avantageux aux victimes. Une pension d'invalidité peut être octroyée à un salarié malade, dès lors que ses capacités de gain et de travail sont réduites de 66 %. Cette pension, accordée jusqu'à l'âge de 60 ans, est de 30 % du salaire brut des dix meilleures années en catégorie 1 et de 50 % en catégorie 2. Mais pour l'obtenir, la victime ne peut plus déclarer son TMS en maladie professionnelle. " C'est un vrai dilemme auquel nous sommes assez souvent confrontés ", reconnaît Michèle Chataigner. Et il s'agit d'un transfert de charges vers le régime de l'assurance maladie.
Afin d'éviter cette dérive, mais surtout pour améliorer le sort de ceux qui ont été licenciés suite à une maladie professionnelle, les syndicats et quelques médecins demandent une compensation intégrale de la perte de salaire jusqu'au retour à l'emploi. La Fnath souhaite, elle, une réparation intégrale, notamment du préjudice et du handicap. " Une réflexion sur une meilleure indemnisation de la perte d'emploi consécutive à un TMS professionnel devrait être engagée ", estime Yves Roquelaure, responsable de la consultation de pathologie professionnelle au CHU d'Angers. Ce n'est pas le chemin que semble suivre la Caisse nationale d'assurance maladie en demandant une refonte du tableau 57 des maladies professionnelles relatif aux TMS. Si la raison invoquée est de faire rentrer dans le tableau des pathologies qui n'y sont pas, comme la maladie de Dupuytren, les syndicats de salariés craignent que cette refonte ne serve qu'à imposer une liste limitative de travaux conditionnant la reconnaissance en maladie professionnelle. Avec, au final, une diminution drastique du nombre de pathologies reconnues et indemnisées.
Les coulisses d'une campagne télé
François
Desriaux
Des articulations qui crient leur douleur... Non, vous ne rêvez pas ! C'est le message que vous pourrez voir à la télévision, ou découvrir dans la presse à partir du 9 avril. Il s'agit de la campagne d'information sur les TMS annoncée en octobre dernier par Xavier Bertrand, ministre du Travail, à l'issue de la conférence nationale sur les conditions de travail. Elaborée par l'agence de communication Lowe Stratéus, elle met en scène une caissière, un ouvrier du bâtiment ou encore un employé de l'agroalimentaire. Coût prévu : entre 11 et 12 millions d'euros sur trois ans. " C'est la première fois que les pouvoirs publics lancent une telle campagne d'information sur le thème d'une maladie professionnelle ", se félicite Laurent Setton, délégué à l'information et à la communication pour le ministère du Travail et des Relations sociales et celui de la Santé.
Faire du bruit. " Les TMS, parlons-en pour les faire reculer ", c'est le slogan finalement retenu par le ministère. Non sans mal. En off, plusieurs experts des TMS ne cachent pas les difficultés qu'ils ont rencontrées pour convaincre les " communicants " de faire passer le message de la prévention. " Au départ, il n'y avait pas de véritable stratégie, rien sur la cible, rien sur l'objectif, rien sur le contenu. On avait l'impression qu'il fallait juste faire du bruit pour montrer que le ministère faisait quelque chose ", confie un expert sous couvert d'anonymat. " C'était complexe, admet Laurent Setton, mais c'est le lot de tout travail collectif et il y a eu un vrai partenariat entre les services de l'Etat et les institutions de prévention pour monter cette campagne ", insiste-t-il. " De fait, commente un autre expert, il y avait une véritable dichotomie entre ceux qui voulaient une campagne grand public et ceux qui redoutaient que cela ne fasse exploser encore davantage le nombre de déclarations de maladies professionnelles. " Face aux premiers slogans, qui ciblaient les douleurs et incitaient à consulter un médecin, le directeur des Risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie, Stéphane Seiller, est monté au créneau pour rappeler qu'il ne souhaitait pas " déclencher ou légitimer des déclarations sur le tableau 57 ", peut-on lire dans un courriel adressé au comité de pilotage dont Santé & Travail a eu connaissance.
Enfin, il y avait les expressions taboues. " Les TMS, travaillons à les prévenir ! " plaisait bien aux experts... mais risquait de " cogner ", selon les communicants, avec la campagne présidentielle sur la revalorisation du travail... Difficile de plaire à tout le monde !