Crèche - © Nathanaël Mergui/Mutualité française
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Les CHSCT de la fonction publique dans la ligne de mire

par Corine Renou-Nativel / juillet 2018

Après le secteur privé, c'est dans la fonction publique que se prépare la fusion des instances représentatives du personnel et donc la disparition des CHSCT. A travers une série de concertations sur la santé au travail, le gouvernement a semé l'inquiétude.

Bis repetita. Après avoir réformé par ordonnances les instances représentatives du personnel dans le secteur privé, le gouvernement s'attaque maintenant à celles de la fonction publique. Dans le cadre d'une concertation sur la rénovation du dialogue social, il préconise de rapprocher les comités techniques (CT), chargés d'examiner les questions liées à l'organisation et au fonctionnement des services, et les CHSCT. Le 3 mai, deux scénarios ont été présentés aux organisations syndicales : le premier fusionne totalement CT et CHSCT ; le second intègre les CHSCT dans les CT sous forme d'une commission spécialisée. Dès le début de la séance, les neuf organisations syndicales conviées ont fait part de leur refus d'entamer un débat sur la fusion. Mais l'option de la commission spécialisée n'a pas davantage suscité l'enthousiasme.

"On avait l'impression que la DGAFP [direction générale de l'Administration et de la Fonction publique] nous présentait le comité social et économique mis en place dans le privé en nous faisant croire qu'il n'y avait pas de fusion, avec une nouvelle instance, dont une formation spécialisée serait dotée des mêmes prérogatives que les CHSCT", observe Hervé Moreau, représentant de la FSU. "Il est évident que si on fusionne une instance spécifique dans une instance plus générale, on abordera des sujets plus globaux et les questions précises d'hygiène, sécurité et conditions de travail seront diluées", juge pour sa part Olivier Bouis, secrétaire fédéral de la Fédération générale des fonctionnaires FO.

L'une des craintes est de voir disparaître les prérogatives des CHSCT. "Aujourd'hui, ils peuvent demander des expertises, mettre en place des droits de retrait, effectuer des visites sur le terrain, prérogatives que n'ont pas les CT", rappelle Muriel Scappini, secrétaire générale adjointe en charge de la santé au travail pour la CFDT Fonctions publiques. L'inquiétude est d'autant plus grande que les CHSCT ont été mis en place seulement en 2009 dans la fonction publique"Grâce à eux, une culture de santé au travail commence à se diffuser auprès des personnels et de l'administration, constate Hervé Moreau. Ils ont impulsé le développement d'instruments comme les fiches de registre, qui ont permis de faire remonter jusqu'au niveau ministériel des problèmes du terrain et d'engager des réflexions nationales. Les fusionner ou les intégrer dans une instance nouvelle, c'est à nouveau risquer de voir les questions de santé au travail passer au second plan."

 

Éloignement du terrain

 

Se pose aussi la question de la proximité avec le terrain, si l'alignement des CHSCT sur les CT engendrait une diminution de leur nombre. "De l'aveu même de la DGAFP, un CHSCT couvre en moyenne 6 600 agents dans l'Education nationale, ce qui est trop", indique Christophe Godard, secrétaire national de l'Union fédérale CGT des syndicats de l'Etat (UFSE). "La proximité est essentielle pour trouver les meilleures mesures dans l'organisation du travail, afin de lutter contre l'exposition aux risques physiques et psychosociaux, affirme Annick Fayard, secrétaire nationale chargée de la qualité de vie au travail à l'Unsa Fonction publiqueMême si le CHSCT n'est qu'une instance consultative, lorsqu'il lance une alerte, en cas de problème grave comme un suicide, l'employeur ne peut plus dire qu'il ignorait l'existence d'une souffrance au travail."

En outre, les organisations syndicales redoutent que la refonte envisagée ne se traduise par une baisse des moyens. "Si le même mandaté doit s'occuper des prérogatives du CT et du CHSCT, il ne fera plus que ça, estime Christophe Godard. Or nous ne voulons pas que les syndicalistes deviennent des professionnels de l'action syndicale." Les membres des CHSCT ont une expertise spécifique, qui risque de se perdre. "Ils représentent des personnes-ressources qui connaissent les dossiers, les réglementations", souligne Olivier Bouis. Du côté de l'administration, on se veut rassurant. "Dans le deuxième scénario, les membres de la commission spécialisée en matière de santé et sécurité au travail seraient choisis parmi les membres de l'instance plénière, permettant de maintenir une professionnalisation sur ces questions pointues, indique Carine Soulay, directrice adjointe à la DGAFP. Participant aux deux enceintes, ils seraient à même d'apporter l'éclairage de spécialistes des conditions de travail dans le cadre de débats en plénière sur une réorganisation de service." Reste à connaître le calendrier de mise en oeuvre de la réforme. Avant les élections professionnelles du 6 décembre prochain ou lors de celles prévues en 2022 ? A la DGAFP, on rappelle que c'est le gouvernement qui a la main.

 

Une instance médicale unique

 

Toujours dans le champ de la santé au travail, les instances médicales de la fonction publique - comité médical et commission de réforme - seraient également fusionnées. Toutes les parties reconnaissent leurs dysfonctionnements, signalés dans un rapport d'inspection de mars 2017. Mais le projet présenté comporte un point qui a fait bondir les syndicats : les représentants du personnel ne siégeraient plus dans l'instance unique, sauf cas particuliers. "La commission de réforme doit intervenir pour reconnaître ou non l'imputabilité des accidents et des maladies au service, si l'administration ne les reconnaît pas, explique Christophe Godard. Elle doit aussi intervenir sur la définition des taux d'invalidité, l'attribution de congés longue durée, etc. La DGAFP nous demandait donc de signer un texte par lequel on se faisait hara-kiri." De son côté, Elodie Fourcade, sous-directrice des politiques sociales et de la qualité de vie au travail à la DGAFP, tempère : "La parole des organisations syndicales est intéressante pour l'éclairage qu'elles peuvent apporter sur les conditions de travail, les prérequis par rapport au métier et au corps qu'occupe l'agent. Nous posons la question de sa préservation, sans forcément passer par le formalisme d'aujourd'hui." La concertation devrait reprendre en juillet.

Enfin, syndicats et administration doivent aussi tomber d'accord sur les modalités d'application du congé pour invalidité temporaire imputable au service. Ce dernier doit permettre à un agent victime d'une pathologie ou d'un accident en lien avec le travail de le déclarer et de bénéficier d'un congé avec maintien de rémunération, sans avoir à faire la preuve de l'origine professionnelle des lésions. Prévue par une ordonnance du 19 janvier 2017, sa mise en oeuvre dépend d'un décret en cours d'élaboration. Le premier projet présenté aux organisations syndicales, le 29 mars dernier, a suscité un tollé. "Plusieurs points, dont le délai imposé aux personnels pour demander l'imputabilité d'un accident au service, donnaient l'impression de restreindre les droits au lieu de les renforcer", regrette Hervé Moreau. La discussion a repris le 14 mai, "en se basant davantage sur les points qui avaient pu achopper", déclare Elodie Fourcade.