Faux procès et vraies lacunes de la recodification
Le nouveau Code du travail doit entrer en vigueur le 1er mai. Plusieurs inspecteurs du travail et spécialistes du droit ont crié au démantèlement dès la partie législative recodifiée, notamment sur les questions de sécurité. A tort, mais...
Jean-Denis Combrexelle ne décolère pas. Le directeur général du Travail est très remonté contre les accusations de " démantèlement " du Code du travail proférées par le très médiatique Gérard Filoche, et d'autres inspecteurs du travail, à l'occasion de la recodification de la bible de l'institution de contrôle. " Les auteurs se sont attachés, sous le contrôle permanent de la commission supérieure de codification, à toujours s'assurer qu'aucun droit supplémentaire n'était créé au profit du salarié ou de l'employeur, qu'aucune sujétion supplémentaire n'était imposée à l'un ou à l'autre, ni qu'aucun droit n'était réduit ou une obligation amoindrie ", écrivent Jean-Denis Combrexelle et Hervé Lanouzière, directeur départemental du Travail en charge de la mission de recodification. En outre, insistent-ils, " les articles relatifs à la santé et la sécurité sont désormais regroupés dans une partie IV, par volonté forte de les sanctuariser "
" Critiques infondées "
Une opinion que n'est pas loin de partager Martine Millot, inspectrice du travail et membre de l'association L. 611-10, pourtant peu suspecte de complaisance à l'égard du pouvoir. Elle tient à se démarquer de " critiques infondées portant sur la prétendue disparition de certains droits, notamment dans le domaine de la santé et de la sécurité du travail ". " Le Code du travail a bien été réécrit à droit constant, les critiques ne résistent pas textes en main ", affirme-t-elle.
De fait, Hervé Lanouzière a répondu point par point au texte de Richard Abauzit, intitulé " La casse du Code du travail " et diffusé sur le Net. " La dépénalisation des infractions patronales au droit du travail s'y fait par la suppression presque systématique des peines de récidive ", écrit cet ancien inspecteur. " Faux !, répond Hervé Lanouzière. Aucune peine de récidive n'a été supprimée. La récidive est régie par l'article 132-10 du Code pénal et s'applique à toute pénalité dès lors que son régime n'est pas différent de celui prévu par le droit commun. Les peines de récidive qui ont été maintenues dans le Code du travail sont donc celles qui diffèrent du droit commun. La récidive s'applique donc sans qu'il soit nécessaire de la mentionner dans le Code du travail. "
Même chose s'agissant du CHSCT. " Pour les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail disparaissent l'obligation d'être informés de la présence de l'inspecteur du travail et le droit de pouvoir présenter leurs observations à cette occasion, et la possibilité de faire appel à titre consultatif à toute personne de l'établissement ", soutient Richard Abauzit. " Faux : ceci est prévu à l'article L. 4612 ", lui rétorque le rédacteur du nouveau Code.
L'objectif affiché du ministère du Travail était de rendre le Code plus intelligible, de rationaliser son plan, de " privilégier le point de vue de l'utilisateur potentiel ". Ainsi, les quelque 1 891 articles de la partie législative ont été scindés, réorganisés et redistribués en 3 652 articles, plus courts. De ce point de vue, les opinions sont partagées. Pour Martine Millot et d'autres fonctionnaires de cette administration interrogés, les articles seraient mieux classés, rédigés plus simplement, avec une seule disposition par article. " Je ne vois pas de simplification, estime pour sa part une autre inspectrice du travail. Il va nous falloir des formations et des tables de concordance entre les anciens et les nouveaux articles. " " L'idée de rendre le Code plus accessible est un mythe : même mieux rangé, il ne permettra pas plus qu'avant aux salariés de trouver et interpréter les articles ", renchérit Alexandre Fabre, maître de conférences en droit social.
Une déclassification qui inquiète
D'autres reproches adressés par Gérard Filoche et Richard Abauzit ont en revanche rencontré davantage d'écho. C'est le cas de la déclassification de quelque 500 dispositions législatives en dispositions réglementaires. Philippe Masson, responsable des activités " droits et libertés " de la CGT, avait lancé une mise en garde dès 2006 face aux risques de modifications par simple décret, hors de tout contrôle du Parlement : " Changer la catégorie d'une disposition permet de la modifier de façon rapide... et beaucoup plus discrète. "
La CGT a vainement déposé un recours en annulation auprès du Conseil d'Etat en formulant diverses critiques de fond. Notamment l'externalisation vers d'autres codes, largement désapprouvée, de dispositions concernant les salariés des transports, des mines, de l'agriculture ou encore les assistantes maternelles... Le Syndicat national unifié travail-emploi-formation (Snutef) voit là une source de complexité et d'inégalités. Dans une saisine du Conseil constitutionnel, en janvier dernier, des députés ont cité l'exemple du texte sur les CHS dans les lycées, évacué du Code du travail vers celui de l'Education. Et ils ont dénoncé l'abandon des formules impératives concernant les obligations de l'employeur.
Obligations du travailleur
La CFDT, qui a porté " une appréciation globalement positive " sur le nouveau Code, regrette également ce changement. Exemple : " Les employeurs doivent organiser des services de santé au travail " (L. 241-1) devient " Les employeurs organisent des services de santé au travail " (L. 4622-1). " En droit, commente Alexandre Fabre, le présent vaut l'impératif. Mais pour le petit employeur ou le salarié, le présent ne sonne pas comme une obligation. " Pour les recodificateurs, l'adoption du présent de l'indicatif résulte d'une convention d'écriture voulue par le " guide de légistique " du secrétariat général du gouvernement et susceptible d'assurer " un confort de lecture supplémentaire ".
Autre critique qui a fait mouche, la création, dans cette partie sanctuarisée sur la santé et la sécurité, d'un chapitre " Obligations du travailleur ". " Le parallélisme créé avec les obligations des employeurs pose problème ", note Martine Millot. Sous couvert de l'anonymat, une autre inspectrice exprime la crainte qu'on ne fasse peser la responsabilité d'éventuels accidents sur les salariés " alors que seul l'employeur dispose du pouvoir de décision ".
Au final, la nouvelle partie législative compte 76 articles nouveaux ; 123 ont été abrogés et 161 n'ont pas été repris. D'autres ont été déclassés, déplacés ou modifiés. Des juristes voient là le germe de changements d'interprétation. Pour Alexandre Fabre et Manuela Grévy, maître de conférences à l'université Paris 1, la recodification " met les compteurs de l'histoire législative à zéro " et " prive l'interprète de la dimension historique des règles ". Bernard Teyssié, directeur du Laboratoire de droit social de Paris 2, prédit un accroissement de l'insécurité juridique. Quant au Pr Christian, un des cinq membres du comité d'experts de la recodification, il écrit que " plusieurs mois, voire plusieurs années, seront sans doute nécessaires pour que ce nouveau Code révèle tous ses secrets ".
Toutefois, certains juristes regrettent que la recodification se soit faite à droit constant. Ainsi, Claude-Emmanuel Triomphe, de l'Université européenne du travail, aurait souhaité qu'on rétablisse un certain équilibre des droits des salariés face aux nouveaux modes d'organisation des entreprises et à la précarité qu'ils génèrent. Mais ce n'était pas le sens du mandat donné par le Parlement.