Un salarié de 64 ans en arrêt maladie en raison de troubles musculosquelettiques va reprendre le travail grâce à la création, par son entreprise de BTP employant 49 personnes, d’un poste plus « doux » de magasinier. Cyril Comte, médecin du travail au sein du service de prévention et de santé au travail (SPST) Prevy dans le Gard, reconnaît avoir été « agréablement surpris » par cette solution proposée par l’employeur, à l’occasion d’un rendez-vous de liaison organisé avec le salarié : « J’allais déclencher une procédure d’inaptitude, sans penser que son entreprise pourrait le reclasser. »
Cette prévention réussie d’une désinsertion professionnelle ne relève pas du hasard. Mobilisant les leviers de la loi d’août 2021, le service a obtenu de l’entreprise les coordonnées de la personne en arrêt afin de lui proposer une visite de pré-reprise, comme l’y autorise désormais la réforme. « Cette nouvelle législation nous permet d’aller vers les salariés sans attendre qu’ils nous contactent, levant un obstacle », souligne le Dr Nelly Sellier, responsable de la cellule dédiée à la prévention de la désinsertion professionnelle chez Prevy. La PME a été « ciblée », à la suite d'une enquête menée au niveau régional, « Inaptitudes en Occitanie : diagnostics et analyses » : celle-ci a révélé que les salariés du gros œuvre et du second œuvre étaient plus nombreux à être concernés par des inaptitudes médicales au travail.
Les clés d’une prise en charge anticipée
Ceci a conduit le SPST à faire de ce secteur un champ d’expérimentation prioritaire. Après un contact avec 25 entreprises du BTP, 12 salariés ont été reçus par un médecin du travail, une majorité présentant un risque d’inaptitude avéré. Certains ont alors bénéficié d’aménagements de leur poste et de leur temps de travail. A l’avenir, Prevy compte sensibiliser les entreprises du bâtiment à ces possibilités de prise en charge précoce. Et estime que, pour leurs employés, la visite de mi-carrière devrait être fixée à 40 ans, un âge proche de la moyenne des personnes en arrêt long qui ont été reçus lors de la phase pilote. Et non à 45 ans, l’âge fixé par le législateur en l’absence d’un accord de branche, considéré comme un peu trop tardif.
Comment généraliser une telle démarche de repérage des risques ? La pénurie de médecins du travail et les attentes croissantes en matière de prévention conduisent à hiérarchiser les priorités. « Il faut que les médecins puissent identifier les salariés devant faire l’objet d’une surveillance particulière, ainsi que les situations de travail favorisant la désinsertion professionnelle », estime Florence Thorin, directrice d’un SPST dans le Cher, l’APST 18. La structure a engagé un travail d’analyse de données, confié à un doctorant, afin de déterminer des variables entraînant de forts risques d’inaptitude. Un sujet complexe car multifactoriel. « A elles seules, les pathologies d’un salarié et les expositions ne prédisent pas la désinsertion professionnelle, souligne Cédric Gouvenelle, ergonome et responsable des projets de recherche dans ce service. Il faut tenir compte d’autres éléments, tels que les métiers effectués au cours de la carrière ou la formation, afin de mieux comprendre quels schémas amènent à sortir de l’emploi. »
Certains SPST avancent déjà dans l’utilisation d’outils prédictifs simplifiés. C’est le cas d’Aprevya, qui intervient dans l’Aude et le Gard. « Actuellement, on ne dépiste pas de manière systématique et chiffrée les risques de désinsertion professionnelle, car une bonne partie des visites médicales sont faites par des infirmiers », explique le médecin du travail Magali Falcou.
Evaluation de l’état de santé perçu
Depuis six mois, chez Aprevya, est testé un « indice de risque de désinsertion », élaboré par par GIMS, un SPST basé à Marseille. Cet outil intègre d’une part les observations cliniques sur la situation du salarié (âge, poids, maladies chroniques, etc.) et, d’autre part, la manière dont celui-ci évalue son propre bien-être. Les éléments recueillis sur les deux volets sont synthétisés en trois niveaux de risque : faible, moyen, et fort. Le risque est élevé lorsque se cumulent état de santé dégradé et crainte de ne pouvoir tenir son poste. « Ce questionnaire a l’avantage d’être simple et de se glisser facilement dans une consultation », juge Magali Falcou. A ses yeux, le dialogue autour du bien-être du salarié a pour vertu d’identifier de petits pépins de santé pouvant passer inaperçus. Et c’est en confrontant cet indice à l’environnement de travail qu’elle espère systématiser les actions de prévention et de sensibilisation : « On pourra dire à un jeune salarié que ce n’est pas forcément une bonne idée de faire de la conduite d’engin en raison des vibrations mécaniques s’il souffre d’une hernie discale, même si elle ne lui pose pas de problème dans l’immédiat. »
Ce premier pas n’est toutefois pas suffisant, selon cette médecin du travail : « Il faut aussi mettre en place un indice d’entreprise afin de démontrer de façon objective que l’employeur fait peser un fort risque de désinsertion. » Là encore, il s’agit d’un projet complexe, exigeant de croiser données individuelles et collectives en matière d’absentéisme, de turn-over et d’accidentologie pour parvenir à convaincre. « C’est difficile de rencontrer des employeurs et de pointer leurs problématiques sans leur apporter de données solides », confirme le Dr Anne-Sophie Escobar, responsable de la cellule de prévention de la désinsertion professionnelle de l’APST 18. Elle aussi compte donc sur les résultats des recherches statistiques menées dans son service pour enfin agir en prévention de l’inaptitude, plutôt qu’en réparation.