L’épidémiologie a établi depuis longtemps les effets à long terme sur la santé des salariés des fortes expositions physiques, comme le travail de nuit et le travail posté, les tâches manuelles lourdes ou répétitives, ou l’exposition aux cancérogènes. Ils se font sentir après la retraite, mais aussi en dernière partie de carrière : ainsi, les quinquagénaires exposés à au moins l’une de ces contraintes se déclarent plus fréquemment que les autres « souvent limités dans les activités quotidiennes » (23 % contre 14 %). Si certains liens entre santé et durées d’exposition tout au long du parcours professionnel demeurent flous, ceux entre santé et cumul d’expositions apparaissent par contre très nets : les 50-59 ans ayant connu plusieurs types d’expositions sont 30 % à ressentir des limitations dues à une dégradation de leur état de santé.
Fuir les cadences infernales
Lorsque leur travail n’est plus supportable, les travailleurs – seniors le plus souvent – tentent de se soustraire aux contraintes les plus pesantes, et parfois y parviennent. C’est ce qu’éclaire le rapport « Sustainable work and the ageing workforce », publié en 2012 par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail : jusqu’à la cinquantaine, l’exposition aux postures fatigantes ou douloureuses (au moins la moitié du temps au travail) reste stable chez les hommes (entre 32 et 35 %) et augmente chez les femmes (de 27 % chez les plus jeunes à 35 % chez les 50-59 ans) ; mais un décrochage net est observé après 60 ans, chez les hommes comme chez les femmes (respectivement 23 % et 25 %).
Par ailleurs, les salariés en fin de carrière subissent moins de pressions temporelles dans leur activité : en Europe, la probabilité d’avoir des cadences élevées recule de 15 points entre la tranche 50-54 ans et celle des 60 ans et plus. Des tendances analogues sont observées pour les contraintes d’horaires : augmentation du temps partiel après 50 ans, recul du travail de nuit à partir de 55 ans, moins de travail posté après 60 ans pour les hommes et dès 50 ans pour les femmes.
Les seniors qui arrivent à se maintenir en activité professionnelle sont donc ceux qui disposent d’aménagements du temps qui leur conviennent, à la fois en termes de temps de travail (les horaires) et de temps dans le travail (la pression). Ceci est moins aisé pour les femmes que pour les hommes du fait de parcours antérieurs plus heurtés, précaires, qui peuvent bloquer ces dernières dans des métiers peu soutenables, jusqu’à ce qu’elles aient atteint un niveau de pension satisfaisant.
Se mettre à l’abri d’une certaine pénibilité dans la dernière ligne droite de la vie professionnelle apparaît comme une condition sine qua non, pour de nombreuses personnes, afin de ne pas sortir de la vie active en général. Mais n’est-ce pas aller de Charybde en Scylla ? Une analyse des changements de conditions de travail au fil du parcours, à partir de l’enquête Santé et itinéraire professionnel (SIP), révélait que les salariés qui réussissent à s’extraire des expositions physiques se retrouvent souvent ensuite dans des situations de travail caractérisées par des tensions avec un public. En outre, ceux qui se sont protégés de formes de pression temporelle peuvent parfois perdre en richesse du travail dans des fonctions où leurs compétences sont alors mal employées.
Des départs contraints avant l’âge légal
Mettre un terme à sa carrière professionnelle permet-il d’aller mieux ? Après 50 ans, 18 % des salariés ne se sentent pas « capables de faire le même travail jusqu’à la retraite » selon une étude de la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail sortie le 9 mars dernier. Et la proportion augmente dans les professions en relation avec le public ou physiquement exigeants, ou encore avec l’exposition à certains risques (bruit, poussières, etc.). Tout cela influe sur les comportements de départ : les récents retraités qui, trois ans plus tôt, encore salariés, considéraient leur travail comme insoutenable, ont davantage que les autres pris leur retraite sans avoir atteint l’âge légal (19 % contre 12 %) et sont plus souvent partis sans avoir réuni les conditions d’une retraite à taux plein (30 % versus 16 %). Les problèmes de santé rendant l’activité difficile ont été un facteur majeur de départ pour 48 % d’entre eux, contre 15 % de ceux qui considéraient alors leur travail comme soutenable.
L’immédiat après-retraite peut apporter un soulagement. C’est ce que montre une étude longitudinale réalisée auprès de 15 000 salariés d’EDF-GDF en 2009 : entre l’année précédant et l’année suivant le départ en retraite, la proportion d’agents qui considéraient leur santé comme déficiente est tombée de 19 % à 14 %, ce qui correspond selon la modélisation à un gain de 8 à 10 ans en matière de santé perçue. Cette tendance semble être assez généralisable, puisque plusieurs autres travaux mettent en évidence un effet positif du passage à la retraite sur l’état de santé autodéclaré.
Les traces que laisse le travail sur la santé des individus et les mécanismes de sélection à l’œuvre chez les plus âgés – les amenant à changer d’emploi s’ils le peuvent ou les contraignant à mettre fin à leur vie professionnelle pour regagner en bien-être – sont connus depuis longtemps et ne cessent d’être documentés. Miser sur l’allongement de la vie professionnelle comme c’est (encore) le cas, avec la récente réforme des retraites, interdit de faire l’impasse sur l’amélioration des conditions de travail des salariés de tous âges.