Agent de surface, Jean, 34 ans, est atteint d'une lombalgie chronique et craint de perdre son emploi. Par la plateforme téléphonique Santé emploi info service (SEIS) du Nord-Pas-de-Calais, il apprend qu'il peut demander une visite à son médecin du travail. A l'issue de celle-ci, le médecin émet des restrictions médicales concernant le poste de Jean et l'employeur prend les mesures nécessaires pour qu'il puisse poursuivre son activité professionnelle. Cet exemple d'accompagnement d'un salarié, présenté sur le site de la plateforme SEIS, illustre la démarche promue par les acteurs du maintien dans l'emploi en Nord-Pas-de-Calais.
Décliné en chartes et en plans d'action, en mission prioritaire de l'Assurance maladie ou encore en objectif des services de santé au travail (SST), le maintien dans l'emploi est devenu une préoccupation majeure dans l'Hexagone. Mais cette mobilisation trouve un écho particulier dans le Nord-Pas-de-Calais, sous l'impulsion de l'Institut de santé au travail du Nord de la France (ISTNF).
La région a été la première, en 2001, à signer une charte. Son objet : "Agir de façon concertée" afin de réduire le nombre de licenciements pour inaptitude par "la détection précoce du risque de désinsertion professionnelle". Renouvelée cette année, la charte est animée par l'ISTNF
"L'Institut a une fonction mayonnaise et, par sa reconnaissance et son savoir-faire, il a permis d'obtenir des aides pour lancer le dispositif", souligne le Pr Paul Frimat, son président, chef du service de médecine du travail et de pathologies professionnelles du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille.
Un réseau de médecins du travail
Pilier de la démarche, le réseau Santé, travail, maintien dans l'emploi (STME) s'appuie sur 17 médecins du travail et 15 assistantes référentes "maintien dans l'emploi" des SST de la région. Il cherche à améliorer les pratiques des services dans ce domaine, en les informant et en les conseillant sur les dispositifs existants, et fait remonter les problématiques du terrain. "Le STME favorise les liens entre les équipes SST et les autres opérateurs du maintien dans l'emploi et il produit des outils qui permettent aux uns et aux autres de mieux cibler les actions de prévention", explique Mireille Surquin, de l'ISTNF, responsable de projet sur le réseau. Parmi ces outils, il y a le suivi d'indicateurs collectifs sur les inaptitudes médicales, élaborés à partir de questionnaires remplis par les médecins du travail. En 2013, 3 200 questionnaires ont été récoltés par 70 % des praticiens. Il y a aussi un guide de prévention des facteurs de pénibilité, source d'inaptitudes médicales, avec des fiches par métier. Par ailleurs, les assistantes référentes ont un rôle d'information et de suivi auprès des salariés. Le STME bénéficie du support technique de l'ISTNF et de l'appui scientifique du CHRU.
L'essai encadré, une innovation qui vient de l'Aisne
Expérimenté dans le Nord-Pas-de-Calais depuis janvier 2013, l'essai encadré est la possibilité offerte à un salarié en arrêt de travail d'effectuer un test en conditions réelles sur un poste aménagé. Il peut s'agir de son ancien poste ou d'un nouveau, dans le cadre d'un reclassement interne ou externe. "C'est un moyen de vérifier la faisabilité de la réaffectation sur un poste donné, via un diagnostic des conditions de réalisation du travail", explique Christophe Jankovsky, responsable du service d'appui au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés (Sameth) de l'Aisne, qui, le premier, l'a mis en oeuvre et pratiqué, avant que l'idée soit reprise dans le Nord-Pas-de-Calais. "L'essai repose sur une demande tripartite, du salarié, de l'employeur et du médecin du travail, avec lesquels il est préparé", poursuit cet ergonome. Le salarié vient travailler sur le poste une demi-journée, ou trois jours au plus. Un débriefing à chaud a lieu en fin d'essai avec les acteurs impliqués, qui valident ou non la piste, avec ou sans aménagement spécifique. L'essai demande l'accord préalable du médecin traitant, du médecin du travail et de l'Assurance maladie. Il est en général mis en oeuvre par un Sameth, financé par l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph). "La valeur ajoutée du Sameth repose aussi sur sa capacité à mobiliser les ressources financières de l'Agefiph", souligne Christophe Jankovsky. Mais pas question d'être un simple canal financier, ni de servir de justification à une pseudo-recherche de solution.
Il en est de même pour la plateforme téléphonique SEIS, créée en 2006. "Un tel service n'existe nulle part. Il répond à un besoin d'accompagnement bien réel dans la toile d'araignée des dispositifs", estime la Pre Sophie Fantoni, responsable de la plateforme, médecin du travail au CHRU de Lille et docteur en droit. Car il est difficile pour les salariés de s'y retrouver face à la multiplicité des acteurs susceptibles d'intervenir du point de vue médical, de la protection sociale, du travail et de l'emploi ou du droit. Des problématiques la plupart du temps intriquées. Comme dans le cas de cette auxiliaire de puériculture qui, après deux ans d'arrêt maladie, voulait reprendre son travail à temps partiel. Après avoir été informée sur les modalités du temps partiel thérapeutique, la demande d'invalidité et l'intérêt d'une visite de préreprise, elle entre en relation avec son médecin du travail. Le lien est ensuite établi avec le médecin-conseil de la Sécurité sociale, qui lui attribue une invalidité, mesure qui lui permet de reprendre à mi-temps.
Basé au CHRU, géré en partenariat avec l'ISTNF, le SEIS fonctionne avec trois infirmières formées à l'écoute, en lien avec le service de pathologies professionnelles qui apporte son expertise médicale et juridique. Les appelants sont suivis pas à pas : ils reçoivent un courrier récapitulatif du premier échange et sont contactés dans la semaine, puis un mois, trois mois et six mois après. "Le SEIS n'existerait pas sans le réseau des médecins du travail et des partenaires locaux ; il s'appuie sur une connaissance précise des acteurs qui permet de guider les gens vers tel interlocuteur dans telle structure", commente Sophie Fantoni.
Des dispositifs complémentaires
Pour le médecin du travail, pivot du processus, le maintien dans l'entreprise est l'objectif premier : aménagement de poste, solution organisationnelle... "Tous les jours, on gère de telles problématiques. Selon les cas, on le fait seul avec le salarié et l'entreprise directement, ou bien on fait appel à des partenaires locaux", témoigne Véronique Buewaert, coordinatrice du réseau STME et médecin du Pôle santé travail métropole nord. "Je parle très tôt du statut de travailleur handicapé, dont la reconnaissance ouvre la porte à divers dispositifs et mesures, poursuit-elle. Si on se rend compte qu'il y a une inaptitude prévisible, je contacte l'assistante sociale de la Carsat [caisse d'assurance retraite et de la santé au travail, NDLR], le médecin-conseil, le médecin traitant..." Beaucoup de dossiers sont gérés avec eux en direct.
De son côté, la Carsat invite les salariés en arrêt depuis plus de trois mois à rencontrer son service social. Dans les cas complexes, ils se voient proposer un examen de leur dossier par la cellule de prévention de la désinsertion professionnelle (PDP) locale, qui associe le service social, le service médical, la caisse primaire d'assurance maladie, mais aussi le médecin référent du SST et le service d'appui au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés (Sameth), qui dépend de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph). "La Carsat accompagne les personnes jusqu'à ce que soit trouvé un projet compatible avec leur situation médicale. Cela dure en général huit à douze mois. Environ un tiers sont maintenues en activité", indique Catherine Cauliez, responsable du service social de la Carsat Nord-Picardie.
Pour l'Assurance maladie, il s'agit à la fois d'améliorer la prise en charge des assurés et de contenir les indemnités journalières qu'elle verse. Pas simple quand les bilans et formations demandent justement du temps et qu'une prolongation de l'arrêt peut être nécessaire. "Il y a des décalages temporels et chacun raisonne avec son propre cadre de référence, remarque Christophe Jankovsky, responsable du Sameth de l'Aisne. Pour le médecin-conseil, la question est d'abord : l'arrêt de travail est-il toujours médicalement justifié ? Bien souvent, les préoccupations médicales et sociales sont encore trop présentes pour qu'on puisse s'intéresser au professionnel." "L'important est qu'à la sortie de l'arrêt de travail, il y ait une solution, considère Véronique Buewaert. Par exemple, pouvoir faire un bilan de compétences lorsqu'on est arrêté, c'est déjà un grand pas. Il y a quinze ans, on voyait la personne la veille de son retour : elle était déclarée inapte et sortait de l'entreprise sans aucun accompagnement."
Un bilan qui n'est pas à la hauteur des efforts
Côté résultats, si on s'en tient au devenir des personnes déclarées inaptes, le bilan n'est pas à la hauteur des efforts engagés. Après un mois, 6 % des personnes déclarées inaptes sont maintenues dans leur emploi, selon les indicateurs du réseau STME. "C'est choquant, déclare Véronique Buewaert. Mais cet indicateur ne reflète pas toutes les actions de maintien dans l'emploi développées au quotidien par les médecins du travail en dehors des procédures d'inaptitude. Et il ne faut pas oublier tous ceux qui trouvent une issue d'un autre ordre." Pour l'année 2013, un peu plus d'un tiers des inaptes sont passés en invalidité, 10 % sont engagés dans une réorientation, formation ou création d'activité, 4 % sont partis à la retraite et 44 % recherchent un emploi.
La recherche de solutions bute encore sur le manque d'anticipation. Selon le suivi du STME, deux tiers des salariés inaptes ont eu une visite de préreprise, pour 72 % à leur demande. Mais encore faut-il qu'elle intervienne suffisamment tôt. La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), délivrée par la maison départementale des personnes handicapées, est aussi un point d'achoppement. Les salariés hésitent à s'engager dans cette démarche. Or "elle permet l'accès à de nombreuses mesures", signale Mireille Surquin. Quant à l'association des Sameth, "elle est encore inégale, constate Christophe Jankovsky. Trop souvent, nous jouons un rôle de pompier." Enfin, rappelle Véronique Buewaert, "il faut agir très en amont et renforcer l'action sur la prévention des risques professionnels, en sensibilisant entreprises et salariés". Pour près de la moitié des salariés inaptes, les médecins participant au suivi STME estiment que la pénibilité au poste est à l'origine de l'inaptitude.