Stress en entreprise : la prévention fait fausse route
Dans quelques jours, le ministre du Travail, Xavier Bertrand, présentera un bilan mitigé des accords sur la prévention du stress dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. Un tiers seulement des entreprises concernées a signé un accord ou engagé un plan d'action. Et les entreprises en restent encore à l'élaboration d'un diagnostic ou à des mesures d'accompagnement individuel.
Pourtant, tous les rapports sur le stress rédigés ces dernières années ont mis l'accent sur la profondeur de la crise du travail lui-même et sur la nécessité d'agir sur son organisation. Ainsi, au terme d'un important chantier d'auditions et d'analyse de la littérature scientifique, un collège d'experts a proposé six axes pour bâtir un indicateur national statistique sur les risques psychosociaux (RPS), allant des traditionnels " intensité et temps de travail ", " autonomie " et " rapports sociaux au travail " à des aspects moins classiques, comme les " exigences émotionnelles " et la " souffrance éthique "...
On peut déduire de ces travaux que la prévention des RPS requiert certes de redonner des marges de manoeuvre aux salariés, de réduire les contraintes de temps ou de rythme, de favoriser la coopération et la reconnaissance, mais que tout cela ne suffit pas. La santé mentale n'est pas qu'une question d'équilibre entre une demande à satisfaire et des efforts à fournir pour y parvenir. La prévention du stress ne peut pas faire l'impasse sur des dimensions subjectives du travail, comme celles de devoir contenir en permanence ses émotions ou d'agir contre ses valeurs morales ou professionnelles. Ce qui fait souffrir les salariés, ce n'est pas tant d'avoir trop de contraintes à gérer que de devoir renoncer à faire un travail de qualité, dans lequel on puisse se reconnaître. Et de vivre ce renoncement dans la solitude. Car de plus en plus, sous l'effet de la financiarisation de l'économie, ce qui est rentable à court terme pour une direction d'entreprise, et qui passe par la standardisation des modes opératoires, vient percuter la complexité mais aussi la richesse du travail.
Evidemment, une telle approche montre les limites des démarches consistant à appréhender les RPS comme on le fait avec les nuisances sonores ou les cancérogènes. Objectiver le risque par la mesure, comme on évaluerait des niveaux d'intensité sonore ou de concentration de toxiques dans l'air, n'a guère de sens face aux RPS. Il n'existe pas de seuil de toxicité du travail pour la sphère psychique. Difficile alors de mettre en oeuvre les principes généraux de prévention et d'éliminer le risque à sa source. Autant proposer de supprimer le travail !
Or c'est cette démarche classique qui inspire la plupart des plans d'action et des accords RPS. Les entreprises n'en finissent pas de mesurer le stress à coups de questionnaires et d'observatoires, dans le but d'établir un diagnostic partagé. Et évidemment, ça ne fonctionne pas, car ces mesures sont inopérantes pour agir sur les déterminants de la souffrance. De plus, cela entraîne les professionnels de la santé au travail comme les institutions représentatives du personnel et les organisations syndicales sur le terrain miné de la gestion du stress.
Face à cet échec, le temps est venu de sortir d'une vision épidémiologique et médico-légale de la santé mentale au travail, raisonnant par facteurs de risque. Pour comprendre le travail afin de le transformer, il n'y a pas de meilleur chemin que d'en débattre avec ceux qui le font, il n'y a pas de meilleur moyen que d'ouvrir des espaces et des temps d'expression dans les entreprises.