Dans notre pays, la santé des chômeurs âgés à la recherche d'un emploi n'est pas bonne, comparativement aux personnes du même âge en emploi. Faut-il y voir un lien avec le faible recours à l'invalidité, alors que celle-ci constitue le principal dispositif de cessation d'emploi pour raison de santé ? En France, elle ne concerne en effet que 6 % des hommes de 55 à 59 ans, contre 10 % en Allemagne, 15 % au Royaume-Uni et plus de 20 % en Suède. Il existe certes dans l'Hexagone des dispositifs plus favorables financièrement que l'invalidité, qui peuvent expliquer pour une part ces différences.
L'état de santé des femmes au chômage et à la recherche d'un emploi entre 50 et 59 ans n'est pas bon non plus : 41 % d'entre elles estiment ainsi que leur état de santé général est mauvais ou très mauvais, contre 28 % de celles qui sont en emploi aux mêmes âges. Dans le même esprit, 23 % déclarent des limitations dans les activités quotidiennes, contre 12 % ; 52 % déclarent une maladie chronique, contre 43 % ; 38 % se sentent déprimées, contre 26 %.
Les récents résultats de l'enquête Santé et itinéraire professionnel confirment ce lien très fort entre chômage et santé à tous les âges. Les salariés dont l'itinéraire professionnel est marqué par le chômage présentent, à caractéristiques sociodémographiques données, une santé relativement dégradée. Et un homme au chômage a un risque annuel de décès environ trois fois plus élevé qu'un actif occupé du même âge.
Activité et emploi réduits
En France, la politique de l'emploi est donc confrontée, plus qu'ailleurs en Europe, à la mauvaise santé des chômeurs. Des chômeurs qu'elle doit pourtant aider à retrouver un emploi, obligation renforcée par l'objectif européen de pleine activité dans le plein-emploi. Cet objectif renforcé de retour à l'emploi s'étend aussi aujourd'hui aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), une population d'inactifs et de travailleurs pauvres dont l'état de santé est globalement encore plus dégradé que celui des chômeurs. Et pour en rajouter dans les difficultés, Pôle emploi, qui doit servir cet objectif, est confronté à une augmentation du nombre de chômeurs (600 000 supplémentaires en 2009) et à une diminution du nombre d'offres d'emploi.
Résultat : en octobre 2010, 1,7 million de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi travaillaient en activité réduite (catégories B et C, voir " Repère ") ou en contrat aidé (catégorie E). Ces catégories représentent actuellement 36 % de l'ensemble des demandeurs d'emploi inscrits et leur poids augmente : un quart en 1998, plus du tiers depuis 2006. Les activités qu'exercent les demandeurs d'emploi de ces catégories sont souvent précaires, ou très éloignées de leur formation ou de leur expérience professionnelle. En tirent-ils au moins un bénéfice en termes de santé ?
Repère : les cinq catégories de demandeurs d'emploi
Les demandeurs d'emploi sont classés en cinq catégories :
- catégorie A : demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi ;
- catégorie B : demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, ayant exercé une activité réduite courte (78 heures ou moins au cours du mois) ;
- catégorie C : demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, ayant exercé une activité réduite longue (plus de 78 heures au cours du mois) ;
- catégorie D : demandeurs d'emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi (en raison d'un stage, d'une formation, d'une maladie...), sans emploi ;
- catégorie E : demandeurs d'emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, en emploi (par exemple, bénéficiaires d'un contrat aidé).
Le cas le plus favorable est certainement celui des personnes en contrat aidé, destiné aux chômeurs les plus en difficulté sur le marché du travail et mis en oeuvre le plus souvent dans les secteurs public et associatif non-marchand. En réalité, on observe que les dispositifs d'insertion et de réinsertion conduisent employeurs, accompagnateurs et salariés à minimiser les problèmes de santé, dès lors qu'ils n'ouvrent pas droit à la reconnaissance d'une incapacité à travailler. Certes, l'accès aux soins est facilité à l'occasion de ces prises en charge, mais il permet surtout de traiter les affections liées à la pauvreté. En revanche, tout ce qui, dans le passé professionnel, peut constituer un obstacle à la réinsertion va être écarté. En effet, l'accès à un dispositif de retour à l'emploi apporte souvent une amélioration matérielle et morale à la situation du chômeur, et la reconnaissance d'une détérioration importante de l'état de santé diminue la possibilité d'accéder à ces dispositifs. Les contrats aidés contribuent ainsi directement à la mise en invisibilité du travail passé et de ses conséquences en termes de santé.
Il en est de même pour le RSA. Alors que la santé est le premier obstacle au retour immédiat à l'emploi, le RSA renforce l'obligation contractuelle de travailler. En effet, sur la base d'un travail rémunéré au Smic, le bénéficiaire doit s'efforcer d'atteindre un mi-temps pour s'acquitter des devoirs liés à son droit à l'allocation. Or les bénéficiaires de minima sociaux n'ont jamais été réellement prioritaires dans l'accès aux contrats aidés, même lorsque la conjoncture économique était plus favorable. Dans ces conditions, la nouvelle insistance quant à la reprise d'un travail se concrétise par des retours très ponctuels à des activités très réduites. Tout cela contribue à l'instabilité de la situation et des revenus des bénéficiaires du RSA, une précarité qui n'est pas favorable au traitement de leurs problèmes de santé.
Une véritable reconnaissance de l'incapacité au travail
Un contexte très général de précarisation des conditions d'emploi et de chômage vient ainsi contrebalancer les bienfaits pour la santé de l'amélioration progressive des conditions de travail dans certains secteurs professionnels. Comme ces évolutions contreviennent au développement économique de long terme et à l'objectif politique de pleine activité dans le plein-emploi, on peut espérer que la situation ne sera que transitoire. Les progrès récents dans le traitement de la question de la formation, en particulier le rapprochement des dispositifs jusque-là réservés soit aux chômeurs, soit aux salariés en emploi, montrent certainement la voie.
Le maintien de la santé doit désormais faire partie, lui aussi, de la protection de l'employabilité des personnes, tout au long de leur vie active, en emploi comme au chômage. C'est une des conditions pour que l'allongement programmé de la durée de vie active ne contribue pas à multiplier les périodes de chômage. Les pouvoirs publics devront également, de leur côté, favoriser des mobilités professionnelles qui soient pensées du point de vue de la protection de la santé. C'est ce que la politique de l'emploi expérimente actuellement dans les métiers des services à la personne, où les situations de travail sont fréquemment dangereuses pour la santé.
Néanmoins, il restera toujours des personnes dont la santé constitue un obstacle majeur à l'emploi. Ces dernières se trouvent trop souvent aujourd'hui sans reconnaissance réelle de leur handicap, au chômage de longue durée ou prises en charge, paradoxalement, par la politique de l'emploi à travers des contrats aidés, alors qu'elles sont en fin de vie active. Les pays qui ont mis en place, avant la France, les politiques les plus énergiques de retour à l'emploi, comme le Royaume-Uni ou la Suède, ont été conduits à développer, en parallèle, une véritable reconnaissance de l'incapacité au travail. Si la politique de l'emploi française doit de plus en plus se légitimer par ses performances en termes de retour à l'emploi, les problèmes de santé devront se traiter en dehors du chômage.