Les accidentés du travail à Paris, à la Belle Epoque
En 1898 était adoptée la loi instaurant l'indemnisation des accidentés du travail. Mais qui étaient alors ces derniers, à quels risques avaient-ils été exposés ? Une plongée dans les archives d'hôpitaux parisiens livre quelques réponses.
Barbier Augustine, 15 ans, apprentie couturière, gare de l'Est, plaie à l'oeil. Bertrand Edouard, 30 ans, porteur Halles, insolation, trouvé sur la voie publique. Desforges Louis, 55 ans, maçon, contusion thoracique. Leroy Jean, 42 ans, employé de chemin de fer, jambe broyée. Désiré Trézaure, 33 ans, camionneur, fracture de la rotule... " Tous sont des Parisiens ou des proches banlieusards travaillant à Paris. Extraite du registre des entrées à l'hôpital Tenon daté de 1900, la liste est éloquente : tous ont été victimes d'un accident du travail. Un collègue de travail, une ambulance ou un agent de police les a amenés dans cet établissement du 20e arrondissement pour qu'ils y soient soignés, bien sûr, mais aussi, pour certains de ces blessés, afin que soit établi un certificat médical hospitalier qui permettra d'ouvrir droit à une indemnisation et à la prise en charge des soins. Et ce, en application de la loi de 1898 sur la réparation des accidents du travail (voir " Repères ").
De la chute à l'écrasement
Qui sont les victimes bénéficiaires - ou non bénéficiaires, en raison de leur statut - de cette loi au cours des trois années suivant sa promulgation ? L'étude de quelques registres de quatre hôpitaux situés dans le quart nord-est de la capitale - Lariboisière, Saint-Antoine, Tenon et Saint-Louis - apporte des informations tant sur les métiers les plus exposés aux accidents du travail que sur la nature et la gravité des blessures.
Les traumas sont très généralement des fractures, des contusions, des plaies et des brûlures. Les chutes sont surtout le fait des couvreurs, peintres et maçons. Les bouchers, charcutiers, ébénistes et menuisiers sont avant tout exposés aux plaies dues à des outils contondants ou tranchants. Le coup de sabot et la morsure de cheval occasionnent énormément d'accidents du travail, notamment pour les palefreniers, les cochers, les charretiers ; ces blessures représentent 10 % des entrées pour accident du travail à Lariboisière en 1899-1900. Pour tel autre corps de métier, travaillant avec des presses ou des machines, c'est l'écrasement qui représente un risque. Tel est le cas pour cet estampeur de 38 ans opéré par le Dr Ricard, suite à un écrasement des deux bras. Les charretiers sont également victimes d'écrasement par leur charroi.
Les femmes ne représentent que 10 % des accidentés du travail. Elles sont bonnes, journalières, couturières, blanchisseuses, chiffonnières, chocolatières, cuisinières ou infirmières, la domesticité constituant le secteur d'activité le plus concerné. Les pathologies les plus fréquentes chez ces victimes sont des brûlures, puis des luxations, des contusions ou des fractures - une chiffonnière et une journalière, toutes deux travaillant à l'extérieur, souffrent d'une fracture de la colonne vertébrale. Les soins qui leur sont apportés en priorité sont des pansements pour les brûlures peu graves, puis des bridages sur les cicatrices, mais aussi des amputations, comme pour cette chocolatière qui s'est écrasé un doigt, ou des résections pour les fractures. Elles sont majoritairement parisiennes lorsqu'elles sont bonnes, cuisinières, blanchisseuses et infirmières, c'est-à-dire lorsqu'elles travaillent dans le " service " ou la domesticité, habitant ou travaillant dans les alentours de l'hôpital qui les accueille. Les journalières, chiffonnières et couturières viennent plutôt de Fontenay-sous-Bois, Montreuil-sous-Bois, Le Perreux et Saint-Mandé, banlieues administrativement rattachées aux hôpitaux de l'Est parisien. Elles sont tantôt originaires de province, tantôt parisiennes de souche. Les domestiques n'entrent pas dans la sphère de protection sociale dessinée par la loi de 1898. Si l'hôpital les prend en charge, cela peut être sous couvert de l'indigence, ou bien les frais sont payés par la patiente.
Transports dangereux
Les hommes sont par excellence les patients que les hôpitaux accueillent pour des pathologies et surtout des traumatologies liées aux accidents du travail. Les secteurs d'activité les plus représentés sont les transports non ferroviaires (22,4 % des 210 cas d'accidents du travail relevés dans les registres des hôpitaux), le bâtiment (19,5 %), l'artisanat (18,6 %), puis les travaux de journaliers (13 %), le commerce (9,5 %) et le chemin de fer (7,1 %). Au sein de ces secteurs, certains métiers se révèlent particulièrement risqués, à la fois en nombre de victimes, mais aussi du point de vue de la gravité de l'accident et de la mortalité. Les métiers qui arrivent en tête des accidents du travail traités par l'hôpital sont les charretiers et les journaliers, suivis par les employés de chemin de fer, puis les couvreurs, les cochers, les peintres, les camionneurs et les chauffeurs. Parmi ces professions à risque, les transports anciens (cochers, charretiers) se disputent donc la dangerosité avec les transports modernes (cheminots, camionneurs). Des métiers anciens typiquement parisiens et très présents dans le faubourg Saint-Antoine fournissent des contingents de blessés, mais en nombre limité : les ferblantiers, les fondeurs, les ébénistes, les monteurs en bronze et les menuisiers. Quelques blessés exercent d'autres activités traditionnelles, mais ne peuvent cependant pas prétendre à la réparation dans le cadre de la loi de 1898 : les bouchers, les laitiers, les épiciers, les porteurs des halles et les charbonniers. Tous les blessés de ces professions sont des " garçons ", ce qui signifie que ces jeunes gens chargés des tâches subalternes au sein de l'équipe de travail sont éventuellement plus vulnérables de par leur jeunesse et leur inexpérience. Pour eux, il n'y a pas d'établissement d'un certificat médical ni de prise en charge systématique des frais d'hospitalisation par leur employeur. Enfin, les métiers liés au terrassement ou aux carrières, souvent très exposés, ne livrent pas d'énormes effectifs de blessés, parce que ces activités ne sont pas pratiquées à proximité de ces hôpitaux.
Mortelle canicule
Les conditions climatiques peuvent occasionner des accidents du travail, qui concernent, à une exception près (un boulanger), des travailleurs de l'extérieur : terrassiers, journaliers, garçons de chantier, employé du chemin de fer de l'Est. Ces accidents sont parfois mortels. Ainsi, entre le 18 et le 21 juillet 1900, alors qu'une canicule sévit à Paris, six ouvriers décèdent à l'hôpital Saint-Antoine, victimes d'une insolation.
Aux alentours de 1900, les accidentés du travail présentent donc des traumatologies et pathologies tout à fait symptomatiques de leurs conditions de travail et de l'activité économique de la capitale. Ils exercent encore majoritairement des métiers traditionnels, auxquels s'ajoutent ceux des transports. Grâce à la loi de 1898, beaucoup d'entre eux peuvent avoir accès aux soins. Le coût des soins, des séjours à l'hôpital et éventuellement en maison de convalescence ainsi que les frais funéraires sont désormais pris en charge par l'assurance de l'employeur. Mais si la réparation est devenue un droit, la prévention ne viendra que plus tard.
Cultures du risque au travail et pratiques de prévention. La France au regard des pays voisins, Catherine Omnès et Laure Pitti (dir.), éd. Presses universitaires de Rennes, 2009.
Les maux et les soins. Médecins et malades dans les hôpitaux parisiens au XIXe siècle, Claire Barillé et Francis Démier (dir.), AAVP, 2007.
" Le nouveau tarif des corps laborieux : la loi du 8 avril 1898 concernant les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail ", par Philippe-Jean Hesse, in Deux siècles de droit du travail. L'histoire par les lois, Jean-Pierre Le Crom (dir.), Les Editions de l'Atelier, 1998.