Trente ans après leur création, où en sont les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ? Pour tenter de répondre à cette question, l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et son réseau ont mené en 2010-2011 une étude, en partenariat avec le département d'ergonomie de l'université de Bordeaux. Son objectif : comprendre comment les droits, moyens et champ d'action étendus accordés au CHSCT en 1982 par les lois Auroux se traduisent aujourd'hui dans les pratiques de terrain. Il s'agissait aussi d'identifier les difficultés rencontrées par les membres de cette institution représentative du personnel (IRP) pour s'acquitter des différentes missions qui leur sont dévolues (voir encadré page ci-contre).
Une instance de représentation particulière
Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a pour mission de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs, ainsi qu'à l'amélioration des conditions de travail (article L. 4612-1 du Code du travail). Dans ce cadre, le législateur lui attribue explicitement :
- une fonction de contrôle des dispositifs mis en place par l'employeur en matière d'hygiène et de sécurité ou de promotion de la prévention, le CHSCT devant être consulté sur différents documents obligatoires (bilan et programme annuels de prévention des risques et d'amélioration des conditions de travail, document unique d'évaluation des risques professionnels, rapport du médecin du travail...) ;
- une mission d'analyse des conditions de travail et des risques auxquels sont exposés les salariés ;
- des moyens d'investigation (enquête suite à des accidents du travail ou des maladies professionnelles, visites d'inspection, recours à un expert extérieur) ;
- un rôle d'examinateur des projets techniques ou organisationnels pour lesquels le comité doit être obligatoirement consulté par l'employeur avant toute décision, dans une perspective de prévention.
Le législateur en fait aussi une instance de représentation particulière :
- il réunit différents acteurs (direction, représentants des salariés, responsable sécurité, médecin du travail, inspecteur du travail, agent de prévention de l'organisme de Sécurité sociale) ;
- il est un lieu à la fois d'identification des problèmes et de définition d'axes concrets d'action.
En analysant le fonctionnement de CHSCT dans 27 entreprises de tailles et de secteurs différents, disposant ou non d'une présence syndicale, cette étude qualitative, menée sur un large échantillon, a permis de dresser plusieurs constats. L'image qui en ressort fait apparaître des pratiques, des positionnements et des fonctionnements très divers, fortement marqués par les contextes locaux. De manière générale, le CHSCT a néanmoins acquis une place importante dans le paysage des relations professionnelles. Sa légitimité est renforcée et sa visibilité dans l'entreprise est souvent bonne. De par la nature de ses missions et sa composition spécifique - il regroupe en effet tous les acteurs de prévention, de l'employeur aux représentants du personnel, en passant par l'inspecteur et le médecin du travail -, il entreprend des actions qui ne le seraient pas par d'autres IRP. Le CHSCT apparaît bien comme une force de rappel indispensable pour que les enjeux de santé et de sécurité au travail soient pris en considération dans les processus de décision au quotidien et dans les choix stratégiques des entreprises.
Comme une instance plutôt technique
Pour autant, tous les CHSCT concernés par l'enquête rencontrent, à des degrés divers, les mêmes difficultés. Elles peuvent être regroupées autour de quatre questions : le CHSCT est-il bien identifié comme une IRP ? Occupe-t-il tout son champ de compétence ? Son fonctionnement est-il globalement conforme aux dispositifs prévus par la loi ? Les questions du travail y sont-elles abordées en lien avec les salariés concernés ?
Il existe un discours fréquent, y compris parmi les représentants du personnel, sur le caractère "apolitique", "non syndical", voire "consensuel" des questions à traiter par le CHSCT. Dans cette perspective, ce dernier est considéré comme une instance plutôt technique, voire même, dans un nombre significatif de cas, comme un prolongement du service d'hygiène-sécurité de l'entreprise. Le CHSCT a dès lors du mal à être clairement identifié comme une IRP à part entière. Les élus du personnel qui y siègent ne sont pas vus comme les porteurs d'une parole autonome sur les conditions de travail des salariés qu'ils représentent, mais plutôt comme des relais de la politique de l'entreprise en matière d'hygiène et de sécurité, chargés par exemple de faire respecter des consignes, de veiller au port des équipements de protection individuelle ou de détecter des salariés en difficulté pour lesquels la direction pourrait mettre en place des mesures d'accompagnement individuel.
Cette situation a généralement trois conséquences : une limitation du champ d'action du CHSCT aux sujets les moins conflictuels ; une grande faiblesse des débats au sein de l'instance avec une absence de confrontation de points de vue sur le travail ; une perception erronée du comité par les salariés, qui le voient plus comme un instrument de contrôle que comme un relais possible de leurs préoccupations. Les autres IRP - délégués du personnel ou comité d'entreprise - peuvent être en partie responsables de ces difficultés de positionnement du CHSCT, lorsqu'elles ignorent ses prérogatives spécifiques. De même, certaines équipes syndicales considèrent parfois le mandat au sein de cette instance comme un simple tremplin pour des fonctions plus valorisées, au comité d'entreprise par exemple.
L'organisation du travail reste "hors champ"
Autre écueil : le champ de compétence du CHSCT est extrêmement vaste et sa prise en charge varie beaucoup d'un comité à un autre. Si les interventions du CHSCT en matière d'hygiène et de sécurité ne sont que très rarement contestées, avec néanmoins une vision souvent très normative de ces sujets, il n'en est pas de même pour l'organisation du travail. Les prérogatives accordées aux CHSCT concernant les conditions de travail ne sont pas toujours entrées dans les moeurs. Les questions liées à la gouvernance des entreprises, à l'organisation de la production, à la gestion du personnel, à la politique de formation ou aux modes de management demeurent dans beaucoup de cas "hors champ", même si elles ont une influence évidente sur les conditions de travail. Les élus du personnel eux-mêmes peuvent manifester des réticences à investir ces questions, par manque de formation ou d'information, par volonté d'éviter des conflits, parfois aussi parce qu'ils estiment que ces sujets relèvent de la seule responsabilité de l'employeur. Dans le cas contraire, cela entraîne des conflits assez fréquents entre direction et élus du personnel sur ce qui doit faire l'objet d'une consultation obligatoire avant toute décision, en particulier dans les situations de restructuration, ou sur le périmètre des actions possibles, quand il s'agit par exemple de traiter des troubles musculo-squelettiques (TMS) ou des risques psychosociaux (RPS).
L'efficacité du CHSCT repose pour une bonne part sur sa capacité à mobiliser les ressources mises à sa disposition et certains dispositifs prévus par le législateur : association des autres acteurs de prévention, visites des lieux de travail, enquêtes, formation des membres, recours à un expert, possibilité de réunions extraordinaires. Il arrive que des comités fonctionnent avec des moyens supérieurs à la législation ou que l'entreprise s'organise pour faciliter l'exercice du mandat des élus du personnel. Mais une majorité de CHSCT fonctionnent en "mode dégradé", en particulier dans les plus petites entreprises : les réunions trimestrielles représentent l'essentiel de leur activité ; les élus n'ont pas bénéficié de la formation obligatoire, ou celle-ci a été réduite à des aspects juridiques ou réglementaires ; des difficultés existent pour prendre les heures de délégation ; l'aide d'acteurs externes ou leur présence aux réunions ne sont pas acquises faute de temps disponible. Autres facteurs nuisant au bon fonctionnement du CHSCT : la formation du président, représentant de l'employeur, aux questions de santé et de sécurité au travail reste assez rare et ses marges de manoeuvre effectives vis-à-vis de sa direction s'avèrent souvent limitées, notamment dans les grands groupes.
Peu d'analyses de terrain
Pour que le CHSCT puisse intervenir efficacement sur les conditions de travail, il faut que l'employeur lui fournisse une information de qualité, à un moment où il peut réellement jouer son rôle de prévention. Mais il faut aussi que les élus du CHSCT procèdent à des analyses de terrain, avec les salariés concernés, afin d'instruire les questions à traiter, formuler des propositions et avis pertinents. Or, par manque de temps disponible ou parce qu'ils ne savent pas trop comment s'y prendre, ou encore parce qu'ils sont convaincus qu'ils connaissent suffisamment bien les situations de travail, les élus du personnel réalisent assez rarement des analyses de terrain. Dès lors, les discussions lors des réunions portent relativement peu sur le travail et la capacité des élus à peser sur les projets se révèle plutôt faible. Dans les entreprises où ce travail d'analyse est réalisé, les échanges entre les représentants des salariés et l'employeur sont plus nourris, les projets peuvent être significativement améliorés et les démarches de prévention mises en place en agissant sur un nombre de déterminants beaucoup plus large.
Enfin, au-delà de ces difficultés rencontrées par les CHSCT en matière de positionnement ou de pratique, deux éléments influencent tout particulièrement leur travail effectif : l'importance accordée par l'employeur aux politiques de prévention en santé et sécurité au travail et les représentations qu'ont les différents acteurs des questions à traiter. En abordant le problème des TMS sous un angle uniquement biomécanique, on n'agira que sur les aspects matériels du poste de travail. De même, expliquer les RPS par la seule fragilité de certains individus conduira à n'envisager que de l'accompagnement individuel. En revanche, le fait d'aborder ces atteintes à la santé à partir d'un modèle multifactoriel, qui intègre les dimensions subjectives et organisationnelles de l'activité de travail, ouvrira d'autres pistes de prévention. Pour que le CHSCT puisse jouer pleinement son rôle, il est indispensable que ces différentes visions du travail et de la santé puissent se confronter, que les façons de concevoir la sécurité ou la performance globale de l'entreprise puissent aussi être interrogées. C'est une des conditions pour élaborer des actions de prévention efficaces.
Un exercice délicat
Encore faut-il que les élus soient en capacité d'élaborer un point de vue autonome sur ces sujets, avec l'aide de tous les acteurs ou ressources mis à leur disposition. Le CHSCT est ainsi pris dans une tension permanente entre le besoin de construire son autonomie en tant qu'IRP, de porter le point de vue des représentants des salariés sur le travail et la santé au travail, et la nécessaire élaboration de convergences entre les différentes logiques présentes dans l'entreprise, afin d'influencer les projets et d'inscrire dans la durée les politiques de prévention. L'exercice est délicat, mais l'étude de l'Anact montre que certains CHSCT y arrivent avec des succès non négligeables.
La loi de 1982 a voulu faire du CHSCT une IRP spécifique, chargée de contribuer par ses analyses et ses actions à la prévention des atteintes à la santé physique et mentale des salariés. Si cette instance est aujourd'hui incontournable, solide dans ses principes, elle demeure socialement fragile dans son fonctionnement au quotidien. En outre, depuis 1982, le cadre d'action du CHSCT a considérablement changé : modifications réglementaires, transformations organisationnelles importantes dans les entreprises, nouveaux enjeux de santé au travail, évolution des populations salariées... Les sujets à traiter couvrent un champ extrêmement large et se sont beaucoup complexifiés. Des adaptations sont donc nécessaires. Elles passent par un renforcement du positionnement du CHSCT dans les entreprises (valorisation de la posture de prévention, consultation effective dans les processus de changement, association à la définition des politiques de santé au travail), par une amélioration des moyens réels de fonctionnement (réunions, formation des membres, présence des acteurs externes) et par une meilleure visibilité auprès des salariés (temps de présence sur le terrain, travail d'analyse, moyens d'information).