Des avions et des CHSCT, Bernard Macabiau, qui vient de prendre sa retraite, connaît tous les arcanes. Le fruit d'un long compagnonnage entamé en 1968, quand, titulaire d'un CAP d'ajusteur, il entre chez Sud Aviation, à Toulouse, qui allait devenir Airbus. Dès 1978, le jeune militant FO - la tradition syndicale de sa famille - plonge dans les conditions de travail : nommé à la commission ad hoc du comité d'entreprise, il devient ensuite membre du CHS, avant la création, en 1982, des CHSCT. "Lors des réunions trimestrielles, nous posions... des questions simples." Ce n'est qu'au fil du temps que son action s'est amplifiée. Secrétaire du CHSCT du site de Saint-Martin-du-Touch de 1989 à 1995, puis de 1998 à 2012, il a accompagné la mise en place des nouvelles usines : Clément-Ader, où est fabriqué l'A340, Lagardère, qui abrite l'assemblage du fameux A380, et le récent bâtiment destiné au nouvel A350.
Christian Etcheverry, l'ex-président des cinq CHSCT d'Airbus Opérations, dit de Bernard Macabiau qu'il a fait progresser l'approche de la santé et de la sécurité : "Très tôt, il a été convaincu de l'importance grandissante du CHSCT dans une industrie marquée par de rapides évolutions technologiques et organisationnelles. Nous avons mené des concertations franches ; défendant ses convictions, il pouvait se montrer intraitable mais ouvert pour trouver des solutions acceptables par la direction et préservant les conditions de travail." L'intéressé se voit comme un "défricheur des lois Auroux qui a "essuyé les plâtres", notamment lors de la construction de l'usine Clément-Ader, à laquelle il a été associé. "C'était la première tentative d'anticiper les conditions de travail au moment de la conception du bâtiment. Nous discutions à partir de plans et j'étais fasciné par le foisonnement des technologies déployées, la robotisation, etc. Cela me semblait bien, mais j'étais loin de la future réalité du travail", se souvient-il.
"Un univers industriel dangereux"
De cet apprentissage, il tire des leçons pour l'élaboration du site de l'A380. Un CHSCT "fictif" est créé, rassemblant les secrétaires des instances existantes et des représentants syndicaux, dans le but d'intégrer les conditions de travail à la construction de la plus grande usine du monde, en relation avec les ergonomes et les concepteurs. "Par exemple, nous avons analysé les accidents du travail et repéré des incidences liées au travail de plain-pied, explique Bernard Macabiau. Cela a été pris en compte dans l'outillage." Comme les nacelles, surnommées "tapis volants" par les ouvriers, qui se déplacent, évitant ainsi les chutes. Il cite le taux d'accidents du travail aujourd'hui : 6 %, contre 33 % dans la métallurgie. C'est encore trop pour lui, qui a dû gérer quelques accidents mortels : "L'avion est un univers industriel dangereux. Et à Toulouse, nous restons marqués par la catastrophe d'AZF."
Ces dernières années, d'autres problèmes ont émergé : le lean manufacturing, qui met sous pression les salariés, le système d'évaluation qui stresse les cadres (attaqué en justice par la CGT), les nouvelles technologies de communication, les open spaces réduits à leur minimum... Il mesure les difficultés qui attendent ses successeurs pour traiter ces questions complexes. Laurent Nguyen, secrétaire FO du CHSCT du site de montage de l'A350, l'appelle "le druide", parce qu'il sait beaucoup de choses : "Il a été un pionnier et, quand on débute, c'est bien de pouvoir compter sur quelqu'un comme lui." Quelqu'un qui a su instiller parmi les militants syndicaux la nécessité de s'investir dans l'amélioration des conditions de travail.