Les cancers étant des maladies multifactorielles, l'éventuel lien avec le travail s'avère difficile à établir. Les cancers professionnels, à l'exception de ceux provoqués par l'exposition à l'amiante, demeurent donc peu visibles dans nos sociétés contemporaines. Et les cancers liés au travail dont sont victimes les femmes sont doublement invisibles. Selon des études menées dans différents pays, de 4 % à 12 % des cancers seraient liés à des expositions professionnelles. Ces estimations sont proportionnellement plus élevées pour les hommes (de 3 % à 17 %) que pour les femmes (de 1 % à 3 %). La disparité peut s'expliquer à la fois par la méthode de calcul utilisée et par le manque d'études sur le sujet intégrant la question du genre ou portant spécifiquement sur la situation des travailleuses.
Pour parvenir à ces résultats, les scientifiques recourent à une méthode, celle des "fractions attribuables". La fraction attribuable définit le pourcentage de cas d'une maladie pouvant être évitée s'il n'y a pas d'exposition à un facteur de risque suspecté. Elle dépend du risque relatif - celui de contracter la pathologie quand on est exposé ou non - et de la prévalence d'exposition - proportion de la population totale exposée. Cette fraction attribuable est d'autant plus importante que ces deux variables le sont.
Or la plupart des études épidémiologiques sur les cancers professionnels portent sur des cancérogènes connus, comme l'amiante, les solvants ou les métaux lourds. L'exposition à ces agents concerne principalement les hommes, puisqu'ils sont majoritaires dans les métiers de la construction, de la métallurgie et des industries chimiques. Les cancers liés au travail chez les femmes sont donc probablement sous-estimés.
Les soignantes très exposées
Cependant, ces dernières années, des enquêtes ont mis en évidence le lien entre travail de nuit et risque accru de cancer du sein chez les femmes, notamment parmi les infirmières et les hôtesses de l'air. Ce facteur professionnel expliquerait en partie l'explosion des cancers de ce type dans les pays industrialisés. Actuellement, en Europe, seul le Danemark reconnaît et indemnise les cancers du sein causés par le travail nocturne. Une étude récente a réévalué la part des cancers des femmes en rapport avec le travail, avec une estimation de 3 % à 7 %, en prenant en compte le travail nocturne et l'exposition des travailleuses à certains agents cancérogènes.
Parmi ces derniers, il faut citer les substances cytostatiques, dont les liens avec les cancers des femmes mériteraient d'être creusés. Ce sont des médicaments utilisés en chimiothérapie, qui nuisent également aux cellules saines. Ils présentent dès lors un risque pour la santé du personnel soignant. On estime à plus de 12 millions le nombre de travailleurs exposés en Europe, majoritairement de sexe féminin.
Des projets de recherche comme Nocca
contribuent à rendre visibles les cancers professionnels des femmes. En comparant le nombre de cas dans différentes catégories professionnelles avec le nombre attendu de cancers dans la population générale, ce projet a mis en évidence plusieurs spécificités : des cas de cancers de la langue et du vagin chez les travailleuses de l'industrie chimique, des cancers des ovaires dans le secteur de l'imprimerie ou des cancers des trompes de Fallope chez les coiffeuses.
Les cancers professionnels peuvent être évités. Plus les études genrées contribueront à les mettre en lumière, plus il sera possible de les prévenir par des mesures ad hoc.