Avant la loi du 20 juillet 2011, seules les grandes entreprises disposaient d'infirmières dans leur service de médecine du travail autonome. Elles assuraient les premiers soins en l'absence du médecin, préparaient les visites médicales et faisaient des visites de poste avec lui. Occasionnellement, les praticiens de services interentreprises ayant en charge de gros ateliers ou des usines pouvaient être amenés à travailler avec des infirmières faisant partie du personnel de l'entreprise. Mais les services interentreprises eux-mêmes ne comptaient pas d'infirmières.
Tout a changé en 2011. L'équipe médicale est apparue, composée du médecin du travail et de l'infirmière en santé au travail, deux professions dont l'exercice relève du Code de la santé publique. Avec une spécificité. En médecine du travail, la répartition des tâches entre ces deux métiers n'est pas aussi tranchée que dans une activité de soin classique. A l'hôpital, l'infirmière se voit confier la surveillance de patients à partir de prescriptions médicales, les consultations étant assurées par un médecin. En médecine du travail, bien que l'infirmière demeure sous l'autorité technique du médecin, les deux professions concourent au suivi individuel de l'état de santé des salariés.
Garder une vision globale
L'infirmière peut ainsi recevoir des travailleurs dans le cadre de visites d'information et de prévention. Lors de ces entretiens, elle émet un premier diagnostic sur l'état de santé de chaque salarié, en lien avec son travail. Tout comme le médecin, elle intervient donc dans le soin préventif. En recevant directement les salariés en visite, l'infirmière accède à une pratique clinique qui relevait auparavant du seul médecin. Elle lui confie ensuite les travailleurs dont l'état de santé exige un diagnostic approfondi ou une prise en charge médicale. Et il incombe toujours au médecin de recevoir les salariés exposés à des surrisques, auxquels il doit délivrer un avis d'aptitude, ou ceux dont l'état de santé nécessite d'emblée un examen physique ou une déclaration de maladie professionnelle. Enfin, le médecin demeure le seul interlocuteur de l'employeur.
Ce partage des tâches entre ces deux métiers implique des zones de recouvrement en termes d'activité, entraînant des temps d'échange à propos du profil clinique de salariés, ou des décisions relatives à leur suivi, aux visites de postes à prévoir... Le principal enjeu de cette coopération va être la conservation d'une vision globale de l'état de santé de la collectivité de travail, que les médecins ne peuvent plus détenir à eux seuls. Bien entendu, cette coopération ne se prescrit pas. A partir des pratiques de chaque profession, il va falloir inventer des règles de métier propres à l'équipe médicale. Elles y sont en construction, élaborées au quotidien dans le cadre de l'activité, ou peuvent être discutées dans le cadre de groupes de pairs, via le développement professionnel continu (voir article page 37). Il existe déjà des repères pour la pratique relatifs au travail du binôme, sur le renseignement commun du dossier médical en santé au travail (DMST), sur des écrits destinés à l'employeur... De ce point de vue, les professionnels formés à la clinique médicale du travail ont un avantage : ils partagent une approche commune concernant la façon d'appréhender les problèmes de santé au travail et leur prise en charge.
Dans un registre plus fonctionnel, l'équipe médicale peut se composer de plusieurs médecins et infirmières. L'idéal est qu'ils soient appariés en binômes, avec un effectif de salariés à suivre, en élaborant leurs propres règles de fonctionnement. Par exemple, faire les visites sur une même plage horaire, afin de pouvoir échanger si besoin sur le cas d'un salarié, sans attendre la réunion hebdomadaire d'étude des dossiers. Ou encore réfléchir au contenu commun à donner aux visites. Etant donné que l'infirmière voit une partie des salariés d'une entreprise, et le médecin l'autre partie, comment concevoir les visites d'information et de prévention ? Doit-on les réduire à leur intitulé ? Ou peut-on les envisager comme un lieu où un salarié en souffrance sera soutenu, en l'invitant à exposer ce qui fait obstacle dans son travail, avant que sa santé n'en soit impactée ? La feuille de route devient certes plus large, mais elle cadrera davantage avec la mission confiée à l'équipe médicale : soutenir la santé au travail des salariés, en aidant à la construire ou à la restaurer.
Des protocoles à visée protectrice
Bien sûr, d'autres modes de travail sont déjà à l'oeuvre dans les services de santé au travail, y compris les plus catastrophiques, depuis l'infirmière se trouvant dans une grande solitude au sein d'un binôme qui ne fonctionne pas jusqu'à des dérives organisationnelles qui font de l'exercice infirmier une pratique quasi substitutive vis-à-vis de celui des médecins.
A ce titre, l'équipe médicale doit être attentive aux protocoles. Le Code du travail stipule que le médecin peut désormais confier certaines activités sous sa responsabilité à une infirmière. Le protocole est là pour indiquer à quelles conditions cela doit se faire. Le but est de protéger le champ d'intervention de l'infirmière, de lui donner un cadre et de la soutenir dans le déploiement de ses missions, notamment vis-à-vis de la direction de son service de santé au travail ou de la hiérarchie de l'entreprise dans laquelle elle intervient. L'infirmière ne dispose pas du statut de salarié protégé. Le protocole fixe les moyens sur lesquels l'infirmière s'appuie pour pouvoir déployer son activité Il s'agit d'éviter qu'elle se voie imposer un autre "prescrit", qui la cantonnerait dans des objectifs quantitatifs de suivi des salariés, à distance du travail réel.
La rédaction de ces protocoles peut être partagée entre les médecins et les infirmières. Ils peuvent prévoir que le suivi individuel de l'état de santé des salariés se fera via la clinique médicale du travail, que l'infirmière doit disposer d'une formation initiale et continue de qualité. Beaucoup d'infirmières viennent du milieu du soin et manquent de connaissances sur les enjeux de santé au travail, faute d'avoir bénéficié d'une formation intégrant des éléments d'ergonomie de l'activité ou de psychodynamique du travail. Dans le même esprit, le protocole peut mentionner un temps initial de compagnonnage pour l'infirmière avec un binôme déjà constitué, en vue d'une formation de terrain sur l'appréhension de l'activité de travail.
Enfin, il est possible pour l'équipe médicale d'articuler approches individuelle et collective. Infirmières et médecins sont placés en première ligne du dispositif de prévention. A partir du recueil individuel des atteintes à la santé, lors des visites, l'équipe médicale est en mesure de produire une analyse collective en veille clinique. Celle-ci sera adressée par le médecin du travail à l'équipe pluridisciplinaire, qui en délibérera avant d'orienter les actions de prévention à entreprendre du point de vue de la santé des salariés.