Un pic épidémique… et un amas d’ordures supplémentaire. Depuis la crise sanitaire du Covid-19, l’état des poubelles est un autre indicateur des hôpitaux débordés. Celles-ci contiennent des détritus hautement sensibles : seringues, scalpels, poches de sangs, gants souillés… Christophe Poustay fait partie d’un des premiers maillons de la chaîne traitant ce que l’on appelle les « déchets d’activités de soin à risques infectieux » (Dasri). Depuis vingt ans, avec son poids lourd, ce salarié de l’entreprise Proserve Dasri fait le tour des hôpitaux, cliniques, cabinets de médecins pour les collecter et les transporter dans un centre d’incinération. Elu du CSE et membre de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), il a demandé à ce que les rebuts des services Covid-19 des hôpitaux soient séparés. Sans succès. Les représentants du personnel ont également exigé une désinfection appropriée et automatisée des camions. « Un syndicaliste qui en avait fait son cheval de bataille est mort du Covid-19 en octobre 2021 ; cela nous a marqués », déplore Christophe Poustay.
Et le chauffeur de décrire la situation catastrophique du tri dans les hôpitaux depuis le début de la crise sanitaire : « Le personnel, débordé, fait dans l’urgence et ça se répercute sur nous, les collecteurs. Normalement, les déchets doivent être placés dans des contenants fermés et étanches. Souvent, on retrouve ces derniers ouverts, avec des Dasri entassés par terre car il manque des bacs de récupération. » Les salariés se retrouvent alors à manipuler des sacs au lieu de fûts ou de bacs sécurisés : une seringue qui dépasse et la blessure est vite arrivée. Dans ce cas, branle-bas de combat. Direction les urgences pour l’opérateur qui reçoit des soins médicaux afin de prévenir d’éventuelles contaminations au VIH, à l’hépatite B ou C, etc.
Mais ce n’est pas le seul problème. Ali Chaligui a exercé six ans dans la collecte de Dasri avant de convoyer des déchets industriels non dangereux pour Taïs Ile-de-France, une filiale de Veolia. Ce délégué syndical CGT constate régulièrement des « erreurs de tri sur toute la chaîne, dans les établissements médicaux et la collecte », souvent la conséquence d’un manque de personnel. De ce fait, des déchets médicaux atterrissent là où ils ne devraient pas, générant un risque pour les salariés des filières non spécialisées.
Des blessures assez fréquentes
Au niveau du deuxième maillon de la chaîne, sur les sites d’incinération, une vaccination contre l’hépatite B est exigée pour les travailleurs en contact avec les Dasri. « Ces déchets sont censés être enfermés dans des bacs mais cela arrive qu’il y ait des loupés et c’est la surprise… », regrette Jean-Baptiste Sandemon, délégué syndical CGT de Siap Prociner, filiale de Veolia qui gère une usine de déchets dangereux située à Bassens (Gironde). Sur ce site, en quinze ans, Medhi
a été témoin de trois accidents. « La personne suit un traitement assez lourd pendant trois mois, on dirait un zombie. C’est stressant de ne pas savoir si on a pu attraper un virus », raconte-t-il.
Pour mieux prévenir les risques, notamment de piqûres, le nettoyage du filtre des cabines de lavage où l’on met les bacs transportant les déchets a été davantage sécurisé. Les salariés portent depuis dix ans des gants spéciaux, renforcés par une coque au niveau de la paume ; mais cette protection n’est pas infaillible, puisqu’elle ne couvre pas les doigts.
A l’usine Valo’Marne de Créteil (Val-de-Marne), exploitée par Suez, les blessures sont assez fréquentes. Environ trois accidents par an, selon des représentants du personnel. La faute aux cadences soutenues sur ce site immense, qui brûle plus de 16 000 tonnes de Dasri par an et fonctionne en continu, avec des équipes en 3 x 8. Les déchets médicaux sont transportés dans des bacs à roulettes de tailles différentes, selon le four dans lequel ils sont incinérés. Or les chauffeurs qui les déposent devant repartir au plus vite avec leurs contenants, il faut parfois vider ces derniers à la main ; c’est souvent à ce moment que les coupures surviennent. Selon la réglementation, les Dasri – pour lesquels une traçabilité est mise en place – doivent être brûlés dans les 48 heures suivant leur arrivée. C’est une contrainte supplémentaire pour les opérateurs, qui doivent les manier avec précaution mais dans un temps compté.
Gestes répétitifs et maux de dos
A la mi-2022, Suez devrait avoir terminé la restructuration de ce site, où sont également brûlées des ordures ménagères. L’homogénéisation des équipements permettra « une meilleure fluidité dans le remplissage et le vidage des bacs, qui feront tous la même taille », espère Thierry Blasco, technicien de maintenance et élu CFDT au CSE. Ils seront surtout au minimum deux fois moins lourds, ce qui devrait faciliter le travail de manutention et, in fine, limiter la survenue de troubles musculosquelettiques (TMS), liée aux gestes répétitifs.
Seul « avantage » quand on travaille sur les Dasri ? « Au moins, on n’a pas l’odeur », plaisante Medhi, à Bassens. Son équipe est composée de quatre personnes, sous la responsabilité d’un chef de quart. Le « second » conduit l’engin amenant les déchets dans l’incinérateur. Le troisième membre charge les fûts et le quatrième nettoie le bac après que les Dasri ont été entièrement brûlés. Les opérateurs ne tournent pas sur les postes, ils font toujours les mêmes mouvements, qui provoquent maux de dos et douleurs aux poignets.
Pour le quatuor, la crise sanitaire a été une période particulièrement difficile. Selon Veolia, la quantité de Dasri traitée a augmenté de 7 % entre 2019 et 2021, alourdissant d’autant la charge de travail. De plus, en pleine épidémie, le site de Bassens a remporté un nouveau marché : des déchets en provenance d’Espagne, qui sont expédiés dans des contenants différents, plus pénibles à manipuler. Mehdi et ses collègues ont obtenu qu’un intérimaire vienne les épauler. Dans un rapport de février 2022, l’Organisation mondiale de la santé a tiré la sonnette d’alarme, jugeant la gestion sécurisée des Dasri d’un niveau insuffisant.