Quel regard portez-vous sur le traitement des déchets, un pilier de l’économie circulaire ?
Sandro De Gasparo : Réduire les déchets et le gaspillage des ressources constitue un objectif pertinent et utile. Mais s’en tenir à cette approche pose deux problèmes. D’abord, on ne s’affranchit pas de la logique industrielle, dans laquelle la valeur est mesurée à partir de flux de matières, de biens, d’équipements. Toute politique de prévention des déchets vise à diminuer les quantités et va ainsi à l’encontre de ce modèle économique. Il faut donc repenser la dynamique de la valeur.
Ensuite, on ne réinterroge pas l’organisation du travail, basée sur des procédés très tayloriens, avec une activité souvent malmenée. Dans le secteur dont nous parlons, les installations sont calibrées en fonction du volume de détritus à traiter.
Dans le tri, le travail ne peut être rémunéré à sa juste valeur ?
S. D. G. : La filière est généralement structurée autour d’un opérateur principal et d’une cascade de sous-traitants. En bas de l’échelle, il y a des centres de tri, dans lesquels les opérateurs travaillent sous une forte pression temporelle, dans des conditions dégradées. Y interviennent souvent des entreprises d’insertion, qui font appel à des publics très peu qualifiés. Elles se retrouvent au centre d’une contradiction majeure, avec d’un côté une mission d’accompagnement social et de l’autre une logique de rentabilité par le volume.
Dans les instructions adressées aux salariés, il leur est demandé de ne pas trier certains déchets, pour aller plus vite. Et pourtant, ceux-ci prennent sur eux de le faire, dans un temps non alloué. Pourquoi ? Parce qu’ils sont porteurs d’une visée sociétale de leur travail, qui consiste à recycler le maximum de matières. Cette utilité donne un sens à leur métier, mais n’est pas reconnue.
Comment faudrait-il donc réorganiser cette activité ?
S. D. G. : Cessons de concevoir le recyclage comme une simple opération mécanique faite par des hommes ou des machines ! Au lieu de mettre les flux de matières au centre de l’activité, plaçons-y la valeur d’un service devenu essentiel et de l’accompagnement nécessaire pour faire évoluer les comportements. Pour faire en sorte qu’à toutes les étapes, on modifie les pratiques, celles des consommateurs, des agents de propreté et des ripeurs
, afin qu’elles deviennent plus pertinentes, grâce à des savoir-faire spécifiques.
Si on ne mesure plus la valeur en fonction du tonnage de matière récupérée, mais du service rendu, c’est un tout autre modèle, beaucoup plus sociétal et territorial, qu’il est possible de faire émerger. La prévention des déchets ne serait plus une contrainte, mais une visée économique ; le travail y serait mieux reconnu. On peut créer des centres dans lesquels les gens apportent leurs déchets à recycler, dotés de nouvelles fonctions : par exemple, l’organisation d’ateliers de sensibilisation et d’activités de socialisation autour du réemploi et de l’échange, qui donnent du sens à un geste citoyen. Il y a déjà de premières expérimentations en cours.