Le 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a affirmé que « la protection de l’environnement constitue un objectif de valeur constitutionnelle » et que c’est au législateur d’en assurer la conciliation avec la liberté d’entreprendre. Il est par conséquent possible de poser des limites à cette liberté d’entreprendre afin d’assurer les objectifs de préservation des milieux naturels et, en corollaire, de la santé des individus.
Le raisonnement de cette décision inédite, s’il était appliqué à la sphère professionnelle, pourrait renouveler le débat sur l’impératif écologique au travail. Certes, le caractère général des dispositions du droit de la santé au travail semble de nature à favoriser un large prisme d’analyses, pouvant amener à considérer plus systématiquement la sauvegarde de l’environnement. Néanmoins, mis à part les réglementations spécifiques qui concernent les installations classées susceptibles de produire pollutions ou nuisances graves, c’est de manière relativement récente et parcellaire que la question environnementale est explicitement abordée par la législation du travail.
De prime abord, on pourrait penser que le droit de retrait, prévu en cas de danger grave et imminent pour la vie ou la santé d’un travailleur, puisse être activé par celui-ci pour cesser son activité sur la base d’un motif environnemental. Or les textes ne le prévoient pas expressément. Par contre, la loi du 16 avril 2013 marque une avancée significative. L’article L. 4133-1 du Code du travail instaure en effet un droit d’alerte en matière sanitaire et environnementale, à l’image du droit d’alerte individuel en santé-sécurité au travail. Il peut être déclenché par tout salarié ou représentant du personnel qui estime que les produits ou procédés de fabrication de son entreprise font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement. Cette loi a également renforcé les obligations de l’employeur, qui doit informer son personnel sur ce type de risques. Ayant récupéré les attributions de l’ancien CHSCT, le comité social et économique (CSE) dispose par ailleurs de prérogatives sur ces questions. Ainsi, l’employeur est tenu de réunir l’instance représentative du personnel en cas d’événement grave, lorsque l’activité de l’entreprise a porté atteinte ou risque de porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement ; le CSE doit être informé des alertes sur le sujet qui ont été transmises à la direction par un travailleur ou un représentant des salariés.
Un droit d’information élargi
Par ailleurs, les procédures d’information et de consultation prévoient que la base de données économiques et sociales de l’entreprise, à laquelle les élus et délégués syndicaux ont librement accès, intègre des éléments à caractère environnemental. Il s’agit notamment du rapport, présenté par le conseil d’administration ou le directoire, dans lequel une société anonyme est tenue d’indiquer les modalités de prise en compte des conséquences sociales et écologiques de son activité et les engagements qu’elle prend en faveur du développement durable.
Le droit d’information des représentants du personnel s’est ainsi élargi au champ environnemental, tandis que, en matière d’alerte, le droit du travail appréhende désormais en parallèle les enjeux de santé au travail, de sécurité sanitaire et de protection des écosystèmes.
Chacun doit veiller à la sauvegarde de l’environnement
Si la négociation collective fait parfois une place aux enjeux environnementaux, force est de constater que l’activité normative des partenaires sociaux demeure limitée en la matière. Il est vrai que l’écologie a longtemps été éloignée de leurs réflexions. Et ce thème ne fait pas partie des négociations obligatoires au niveau des branches comme des entreprises. Toutefois, certains accords ont, par exemple, intégré un critère environnemental dans la classification des emplois ou traité le problème des pollutions dans le milieu de travail. A la Caisse d’épargne, l’accord du 3 avril 2019 justifie la mise en place du travail à distance par la réduction de l’impact carbone du transport des salariés ; ceux conclus en 2018 dans le secteur du notariat et en 2019 chez Carglass, le spécialiste de la réparation de pare-brise, instaurent le télétravail lors des pics de pollution atmosphérique. Il arrive que les négociations sur la qualité de vie au travail intègrent une dimension écologique, en abordant le plan de mobilité des salariés, le tri des déchets, la maîtrise de l’énergie, etc. La protection de l’environnement irrigue donc progressivement la législation du travail.
Pour autant, et en dépit d’avancées réelles dans la loi et les normes négociées, les questions sociale et écologique apparaissent, à certains égards, insuffisamment connectées en droit du travail. C’est du côté du droit de l’environnement que les marges de manœuvre pourraient être les plus importantes. Ainsi, la Charte de l’environnement, entérinée par le Congrès réuni à Versailles en février 2005, précise que chacun doit « prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement » ; toute personne doit également « prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ». En 2011, le Conseil constitutionnel a précisé que « chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité ». Le Code de l’environnement dispose également que chacun doit « veiller à la sauvegarde et contribuer à la protection de l’environnement ». Notamment, tout exploitant d’une activité professionnelle représentant un danger écologique est tenu de prendre des mesures de prévention.
Le principe pollueur-payeur
Sur la base de ces prescriptions générales et explicites, un salarié qui ne se conformerait pas aux directives de son employeur parce qu’elles sont susceptibles de produire des dégâts sur les milieux naturels ne devrait pas encourir de sanction disciplinaire, encore moins un licenciement. Prenons l’exemple d’un salarié d’une association de services à domicile, chargé de faire l’entretien d’un jardin chez un particulier. Celui-ci fournit un produit chimique pour le désherbage, que le jardinier ne veut pas utiliser parce qu’il peut être nuisible pour l’environnement. Du point de vue de son employeur, le dirigeant de l’association, ce refus d’exécuter la prestation du client pourrait donner lieu à sanction ; au regard du droit du travail, il s’agirait d’une insubordination. En revanche, la législation environnementale nous semble offrir des garanties pour protéger le salarié qui n’exécuterait pas son contrat de travail afin de sauvegarder les espaces naturels.
Ajoutons que cette obligation générale de préservation est aujourd’hui complétée par un régime de responsabilité environnementale des acteurs, étendue à toute activité professionnelle, quels que soient l’auteur et la nature du préjudice écologique. C’est la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages qui a introduit la notion de préjudice écologique dans le Code civil ; l’article 1246 dispose que « toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ». Appliquée aux relations professionnelles, la responsabilité de l’entreprise en matière de préjudice écologique, dont elle devra assumer la réparation, doit désormais entrer en ligne de compte dans l’appréciation de la correcte exécution du contrat de travail par le salarié.
Au final, si le droit du travail offre aux salariés quelques leviers d’action permettant de répondre à l’impératif écologique, le droit de l’environnement ouvre davantage de perspectives. La mise au diapason du Code du travail avec ces avancées constitutionnelles et environnementales apporterait toutefois davantage de garanties juridiques aux travailleurs soucieux de la défense des écosystèmes dans l’exécution de leur contrat de travail. Parce que, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, l’enjeu environnemental est directement lié à la santé humaine et peut primer sur la liberté d’entreprendre.