Les effectifs de l’Inspection du travail en chute libre
La Cour des comptes s’alarme à son tour d’une diminution conséquente du nombre d’inspecteurs du travail. Les syndicats ont alerté à maintes reprises sur cette situation préjudiciable aux salariés, aux agents et à la prévention des risques professionnels.
Le rapport que vient de publier la Cour des comptes sur la gestion des ressources humaines du ministère du Travail met en lumière une saignée des effectifs de l’Inspection du travail. Entre 2015 et 2021, cette dernière a en effet perdu 16 % de ses effectifs, soit près de 740 équivalents temps plein, ce qui en fait le premier contributeur aux économies de masse salariale engagées par le ministère. En outre, note le rapport, le corps des garants de la protection des salariés en entreprise peine à recruter : entre 2015 et 2019, le nombre de candidats au concours d’inspecteur du travail a baissé de 47 %. Résultat : un « taux de vacance de sections de l’Inspection du travail » qui s’élève en moyenne à 18 % en mars 2022. Et cette année-là, alors même que le ministère avait ouvert près de 200 postes, il n’y a eu que 400 candidats au concours, soit quasiment le même nombre que l’année précédente. « Il est probable que, dans ces conditions, le jury ne puisse pas pourvoir tous les postes, sauf à sélectionner des candidats dont les compétences sont insuffisantes au regard des exigences du concours », prévient la Cour des comptes.
Une moitié de postes vacants dans certains départements
Ces constatations ne surprennent pas les organisations syndicales, elles confirment au contraire leurs alertes répétées. Membre du bureau national de la CGT au ministère et responsable CGT à l'inspection du travail de Seine-Saint-Denis, Simon Picou observe que depuis 2021, fin de la période considérée par la Cour des comptes, les effectifs ont continué leur dégringolade. « Dans certains départements, comme l’Oise, la Corse du Sud, le Cher, la Mayenne, le Val-de-Marne, l’Eure-et-Loir et la Sarthe, le taux de vacance varie de 40 à 60 % ! Cela signifie qu’un agent doit tenir en permanence deux postes, voire trois », indique-t-il.
En Seine-Saint-Denis, où travaille Simon Picou, le taux de vacance avait atteint le tiers des postes. « C’était intenable. Nous avons alors décidé collectivement de cesser de tenir les postes non occupés en plus du nôtre. Pour nous, c’était une surcharge de travail, sans aucune contrepartie ni soutien. Pour les salariés, c’était une qualité de service dégradée : nous ne pouvions nous occuper d’eux correctement, car pour des raisons de délais réglementaires, nous devons faire passer en priorité les accidents du travail graves et mortels, ainsi que les décisions d’autorisation ou de refus de licenciement des salariés protégés », ajoute-t-il. Le syndicat CGT des inspecteurs du travail (CGT TEFP) a édité une carte interactive montrant les taux de vacance de postes dans les sections de l’Inspection du travail selon les départements. « Aujourd’hui près de 4 millions de salariés en France n’ont pas accès au service public de l’Inspection du travail, faute de recrutements suffisants, et d’anticipation des départs en retraite ces dernières années », continue Simon Picou.
Démissions en raison de la surcharge de travail
L’objectif affiché du ministère du Travail est d’un agent de contrôle par section et pour 10 000 salariés. « Mais la population des salariés dans le secteur privé a augmenté tandis que le nombre de sections a été réduit, souligne Mathias Gaudel, membre du bureau national de Sud-Travail et inspecteur du travail à Paris. En 2015, il y en avait plus de 2 200. Aujourd’hui elles sont 2 005 dont seulement 1 637 pourvues. Confrontés à une surcharge de travail permanente, à l’impression de ne jamais avoir une seconde pour respirer, les inspecteurs du travail fraichement nommés quittent assez vite le métier. »
Pour attirer plus de candidats, la Cour des comptes préconise d’améliorer la rémunération mais aussi d’ouvrir l’Inspection du travail à des profils nouveaux. « Le ministère va précisément à l’encontre de ces recommandations, épingle Simon Picou. Ainsi, nous venons d’apprendre, de manière fortuite, que les 100 postes qui devaient être ouverts en 2024, hors concours, à des fonctionnaires d’autres administrations, comme l’avait annoncé le ministre du Travail en octobre 2023, viennent d’être annulés. »
Une pénurie orchestrée d’après les syndicats
Si la Cour des comptes se garde dans son rapport d’analyser les causes de la réduction des effectifs, pour la CGT comme pour Sud-Travail, celle-ci relève d’un choix politique. « L’Inspection du travail est l’un des recours que les salariés peuvent mobiliser pour défendre leurs droits face aux employeurs, rappelle Simon Picou. Les gouvernements récents ont modifié le droit du travail dans un sens défavorable aux salariés et détruisent aussi les corps de protection des salariés comme l’inspection ou la médecine du travail. Ce que nous vivons, c’est une asphyxie des services de contrôle pour laisser les entreprises tranquilles. »
Mathias Gaudel déplore aussi le « manque de soutien » de l’autorité de tutelle. « On en a eu encore une preuve lors des incidents qui ont émaillé la crise agricole en janvier dernier. Des agriculteurs ont pendu un sanglier éventré devant l’Inspection du travail d’Agen, le ministère n’a pas jugé utile de réagir, pointe-t-il. Pour nous, le message est clair : vous ne serez pas soutenus dans l’exercice de votre métier. On nous présente comme des empêcheurs de laisser tourner l’économie en rond et non pas comme les régulateurs de cette économie ! » Dès lors, disent les organisations syndicales, comme s’étonner que le métier d’inspecteur du travail manque d’attractivité ?