Faire du sous-traitant un partenaire en prévention
Michel Héry, chargé de mission auprès du directeur scientifique de l'INRS, vient de coordonner une expertise sur les risques liés à la sous-traitance. Il plaide pour une meilleure intégration des entreprises extérieures à la prévention. Entretien.
Peut-on dire que le recours massif à la sous-traitance s'accompagne d'une augmentation des risques professionnels ?
Michel Héry : Le problème, c'est que nous avons une invisibilité des risques liés à la sous-traitance. Notre appareil statistique est nettement insuffisant. Dans la mesure où les instances représentatives du personnel (IRP) et les structures syndicales fonctionnent plus facilement au sein des entreprises utilisatrices, on peut considérer que si certaines activités étaient encore réalisées par celles-ci, elles le seraient dans de meilleures conditions. A contrario, il est préférable que certains travaux soient effectués par des entreprises extérieures qui ont acquis un réel savoir-faire. Dans l'industrie chimique, par exemple, des manipulations de catalyseurs doivent être faites deux à trois fois par an. Les risques liés à ces manipulations sont moindres lorsque celles-ci sont accomplies par des entreprises extérieures dont c'est le métier. Mais pour cela, encore faut-il que l'entreprise utilisatrice donne le temps et les moyens aux entreprises extérieures auxquelles elle fait appel.
Qu'est-ce qui vous paraît le plus préoccupant aujourd'hui dans ces organisations ?
M. H. : A force de ne plus faire le travail eux-mêmes, de confier leurs activités à d'autres, les donneurs d'ordre perdent la connaissance même de leur entreprise. Toute la législation en vigueur sur la prévention des risques a été bâtie avec le postulat que l'entreprise utilisatrice est responsable de ce qui se passe sur son site, c'est elle qui doit assurer la coactivité des entreprises extérieures. Or, de plus en plus souvent, dans les entreprises utilisatrices, ce sont les travailleurs sous-traitants qui font tourner l'usine. Une part non négligeable de l'organisation du travail n'est même plus assurée par le donneur d'ordre. Celui-ci préfère avoir à traiter avec deux ou trois entreprises extérieures principales qui, à leur tour, vont sous-traiter des activités. Dans ces conditions, on peut se poser la question de la pertinence des plans de prévention. Puisque la connaissance a glissé des entreprises utilisatrices vers les entreprises extérieures, je me demande si ces dernières ont un poids suffisamment important dans l'élaboration des plans de prévention. Certes, ceux-ci doivent théoriquement être établis après une analyse commune, mais les entreprises extérieures et les entreprises utilisatrices ne sont pas forcément sur un pied d'égalité.
C'est donc sur la place des entreprises extérieures dans les politiques de prévention qu'il faudrait se pencher ?
M. H. : Tout à fait. D'ailleurs, l'INRS va engager des travaux de recherche dans cette direction. La question se pose de savoir si on exploite suffisamment les ressources que les entreprises extérieures pourraient mettre à disposition pour améliorer la prévention. De plus en plus souvent, ces entreprises ne veulent plus seulement être celles auxquelles on donne des ordres, mais de véritables partenaires. Cette logique de partenariat gagnerait à être intégrée aux questions de santé au travail. Et ce partenariat doit concerner aussi bien les chefs d'entreprise que les IRP. La loi sur la prévention des risques technologiques majeurs est une amorce, mais je pense qu'il faut aller plus loin, au-delà des seuls sites classés Seveso II. Par ailleurs, au sein de l'Inspection du travail comme des services prévention des caisses régionales d'assurance maladie, nous sommes toujours dans une logique où les entreprises extérieures n'existent pas. La pratique des préventeurs devrait s'adapter à ces nouvelles configurations des risques.