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Flex office : comment éviter la lutte des places

par Sabine DREYFUS, rédactrice en chef / 28 janvier 2025

Exit le mug personnel et les photos de famille sur les bureaux. Débarqué en force avec l'épidémie de Covid et l'essor du télétravail, supposé répondre à des préoccupations économiques autant qu'environnementales, le flex office contraint les salariés à loger coûte que coûte leurs outils de travail et leurs repères familiers dans un casier étriqué, symbole ultime de leur flexibilité. 
Mais surtout, en remodelant la nature, la temporalité et le lieu des interactions entre collègues, cette organisation, qui dépossède chacun d'un espace attitré, contribue également au morcellement de l'activité. Parce qu'elle n'est pas monolithique, parce qu'elle fluctue dans le temps et selon les périodes, parce que le collectif de travail n'est pas une abstraction qui se pilote via un outil de réservation de postes, il y a fort à parier que la vision parcellisée d’une activité qui s'adapterait comme par magie à une configuration des espaces décidée à distance des travailleurs ne peut que rigidifier leur organisation, dégrader leurs conditions d'exercice, et parfois leur santé. C'est dire si les représentants du personnel ont ici un nouveau champ d'expertise à construire, pour faire émerger les besoins des salariés et orienter les projets vers des solutions qui respectent le travail dans toutes ses dimensions, de qualité, de santé, mais aussi d'autonomie et d'efficacité. Ce dossier a pour ambition de les aider à repérer les fenêtres d'opportunité et les leviers pour opposer à des considérations architecturales, sociétales et financières, la question du travail.
 

Flex office : «La dispersion physique engendre une perte de repères»

entretien avec Anne-Sophie Maillot, docteure en psychologie du travail et en ergonomie
par Fanny Marlier / 28 janvier 2025

Pour Anne-Sophie Maillot, docteure en psychologie du travail et en ergonomie, la mise en place du flex office doit s’accompagner d’une réflexion collective qui s’appuie sur les salariés. Dernier volet de notre dossier « Flex office : comment éviter la lutte des places ».

Que sait-on de l’impact du flex office sur la santé des salariés ?

Anne-Sophie Maillot : A ce jour, peu d’études explorent cette question. Selon mes observations, l’articulation entre le télétravail et le flex office engendre, à court terme, une surcharge cognitive et une fatigue liées à l’utilisation intensive des nouvelles technologies, piliers de ce mode d’organisation hybride. Le flex office s’appuie principalement sur des espaces de travail en open space, complétés par des zones d’appoint dédiées par exemple aux appels ou aux réunions. Dans ce contexte, la difficulté la plus souvent évoquée est la fatigue provoquée par le bruit. Nombre de salariés se disent perturbés par les échanges fréquents de leurs collègues, indispensables à la réalisation de leurs missions. Par ailleurs, une dimension symbolique semble affecter leur lien à l’entreprise. Certains salariés ont exprimé la douleur ressentie à devoir réserver une place pour travailler. C’est comme s’ils n’avaient plus de véritable place physique pour exister au sein de l’entreprise, en dehors de ce qu’ils appellent leur « casier piscine ».

Dans quelle mesure le travail en flex office peut-il également affecter la productivité des travailleurs ?

A-S. M. : Dans l’un des services analysés, les salariés apprécient de venir au bureau, mais uniquement pour la dimension sociale du travail. Ils expliquent être fortement perturbés par le bruit des open spaces et par le manque d’espaces d’appoint, ce qui compromet leur productivité. En conséquence, ils reportent une grande partie de leurs tâches sur leurs journées de télétravail. Lorsque l’entreprise ne parvient plus à offrir un cadre permettant d’atteindre l’objectif principal – travailler efficacement –, cela fragilise également le lien entre le salarié et l’organisation.

Au-delà de la santé, quelles conséquences le flex office a-t-il sur le collectif de travail ?

A-S. M. : De nombreux travaux portant sur le télétravail pointent déjà une détérioration. En flex office, l’impact varie selon la nature du métier. Lorsque la coordination et les échanges pour gérer les imprévus sont essentiels, le flex office peut compliquer les choses, car il impose une grande anticipation du travail, ce qui est rarement faisable. L’architecture même de l’espace de travail joue un rôle crucial dans le maintien du collectif. Les retours sont souvent plus négatifs lorsque les salariés ne disposent pas de zones dédiées ou de « quartiers » spécifiques, les obligeant à s’installer n’importe où, parfois loin de leur équipe. Cette dispersion physique entraîne une perte de repères, tant pour soi que pour les autres. Finalement, la réalité s’éloigne souvent des promesses d’ouverture et de collaboration associées au flex office. Cette organisation rationalisée de l’espace tend à limiter les échanges spontanés en face-à-face.

Sur quel socle de principes le flex office doit-il reposer pour bien fonctionner ?

A-S. M. : Il doit intégrer les salariés dès la conception de l’espace. Comme ils ont une vision fine de leur travail et de leurs besoins, ils constituent une ressource clé pour les directions. La réalisation de simulations préalables peut s’avérer pertinente, par exemple en testant des configurations au sein de deux services distincts. L’organisation en « zones » ou « quartiers » permettant aux membres d’un même service de se regrouper semble mieux répondre aux besoins des équipes. Un autre point crucial est d’éviter des « ratios de foisonnement » trop faibles, par exemple des taux de 40 ou 50 postes de bureau pour  100 salariés. Il est essentiel de laisser aux salariés une marge de manœuvre pour se réapproprier les espaces, de veiller à pouvoir rediscuter les politiques d’usage des espaces. Un flex office trop rigide risque de pousser les salariés à privilégier le télétravail, perçu comme plus adapté et avantageux pour réaliser leur travail.

L'intégralité de notre dossier n°127 à télécharger
 

Dossier Santé & Travail Flex office.pdf