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Flex office : comment éviter la lutte des places

par Sabine DREYFUS, rédactrice en chef / 28 janvier 2025

Exit le mug personnel et les photos de famille sur les bureaux. Débarqué en force avec l'épidémie de Covid et l'essor du télétravail, supposé répondre à des préoccupations économiques autant qu'environnementales, le flex office contraint les salariés à loger coûte que coûte leurs outils de travail et leurs repères familiers dans un casier étriqué, symbole ultime de leur flexibilité. 
Mais surtout, en remodelant la nature, la temporalité et le lieu des interactions entre collègues, cette organisation, qui dépossède chacun d'un espace attitré, contribue également au morcellement de l'activité. Parce qu'elle n'est pas monolithique, parce qu'elle fluctue dans le temps et selon les périodes, parce que le collectif de travail n'est pas une abstraction qui se pilote via un outil de réservation de postes, il y a fort à parier que la vision parcellisée d’une activité qui s'adapterait comme par magie à une configuration des espaces décidée à distance des travailleurs ne peut que rigidifier leur organisation, dégrader leurs conditions d'exercice, et parfois leur santé. C'est dire si les représentants du personnel ont ici un nouveau champ d'expertise à construire, pour faire émerger les besoins des salariés et orienter les projets vers des solutions qui respectent le travail dans toutes ses dimensions, de qualité, de santé, mais aussi d'autonomie et d'efficacité. Ce dossier a pour ambition de les aider à repérer les fenêtres d'opportunité et les leviers pour opposer à des considérations architecturales, sociétales et financières, la question du travail.
 

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Chez Néotoa, un projet mené de concert avec les salariés

par Nolwenn Weiler / 23 janvier 2025

Ce bailleur social rennais a converti l’intégralité de son siège social au flex office en 2022. Avec un taux  de satisfaction plutôt élevé, grâce à des ajustements suggérés par les premiers concernés. C'est le sixième épisode de notre dossier« Flex office : comment éviter la lutte des places ».

A Rennes, le cinquième et dernier étage du siège du bailleur social Néotoa offre une vue imprenable sur la ville. Ajouté à l’occasion de la récente réfection du bâtiment de cette entreprise centenaire, c’est un espace multifonctionnel. « De 12 heures à 14 heures, c’est un espace de restauration, où chacun peut venir déjeuner, réchauffer son repas ou boire un café, décrit Sébastien Guittonneau, responsable du pôle organisation et environnement de travail. Le reste du temps, les salariés peuvent venir y travailler en mode coworking. Seuls ou en équipe. C’est aussi l’endroit où se déroulent certains évènements d’entreprise, comme les conseils d’administration. » Les quatre autres étages sont également aménagés en flex office, avec des espaces de coworking et de réunion, des cabines pour téléphoner, des pièces « silencieuses » et des petits bureaux pour les visioconférences.

Les travaux, terminés en 2022, ont duré trois ans, mais la réflexion autour de l’aménagement en mode « flex » a été lancée dès 2015, pour faire face à l’augmentation des effectifs et aux changements d’organisation, avec l’apparition du télétravail. Plutôt que de déménager dans un bâtiment plus grand où chaque salarié aurait un bureau, la direction s’est interrogée sur la faisabilité d’une refonte totale de ses bureaux qui peuvent accueillir 250 salariés sur les 370 que compte l’entreprise.

« Le décloisonnement et la flexibilité d’usage des espaces correspondent mieux à nos façons de travailler en favorisant la transversalité, estime la directrice des ressources humaines Delphine Mouligner. Les différents services ont besoin d’échanger et un certain nombre de salariés sont souvent sur le terrain, comme le personnel de proximité, les travailleuses sociales ou les personnes chargées d’opération sur les chantiers. » A cela s’ajoutent les allées et venues entre les agences du département et le siège rennais ; ainsi que la pratique du télétravail renforcée par les confinements de 2020 et 2021.

Des aménagements concertés

Le remodelage du siège de Néotoa s’est fait en plusieurs étapes, au rythme des tests et concertations qui ont assuré son appropriation, jugent les interlocuteurs de ce projet rencontrés par Santé & Travail. « Nous avons mis en place des groupes de travail pour réfléchir aux besoins des équipes et proposer des espaces qui puissent y répondre, explique Delphine Mouligner. Cette phase de construction a duré une dizaine de mois. » Elle a été suivie d’une période de tests au cours de laquelle « on a fait tomber quelques cloisons dans les services qui manquaient d’espace et qui étaient volontaires pour tenter l’expérimentation », ajoute-t-elle. Par ailleurs, des espaces de coworking ont été mis en place.

« Le fait d’avoir impliqué les salariés, cela a été très efficace, estime Pascal Leray, responsable sécurité et technique, élu au CSE et membre de la commission SSCT. On a fait très attention au confort thermique et acoustique. On a travaillé sur l’ergonomie du mobilier avec des bureaux réglables en hauteur, par exemple, et des postes aménagés pour les personnes avec des pathologies. Il arrive que même ces postes-là soient partagés. » Ces réflexions ont été menées avec le cabinet Imatech, l’association Santé et travail 35 et l’Observatoire régional de la santé Bretagne (ORSB). « Pour que les aménagements en flex office fonctionnent bien, la communication avec les salariés est cruciale, analyse Pauline Baron-Latouche, médecin du travail ayant réalisé sa thèse de fin d’études sur la mise en place des bureaux non attitrés chez Néotoa. Le fait de les intégrer au projet dès le départ est déterminant pour sa réussite. »

La soupape du télétravail

« Au départ, on imaginait que tout serait en 100 % flex. Mais les salariés ont manifesté le besoin d’avoir des espaces plus personnalisés, par service », raconte Sébastien Guittonneau. Cette demande a débouché sur la création de « territoires d’équipe » : les bureaux restent partagés, avec deux fois moins de postes que de salariés, mais ces derniers restent attachés à un lieu, ce qui s’avère salutaire « pour l’identité professionnelle et la cohésion des équipes ». Au rez-de-chaussée, dédié à l’accueil des personnes externes, locataires notamment, les équipes ont insisté sur le besoin de lieux chaleureux et propices à la confidentialité.

Une réflexion a donc été menée pour améliorer les conditions d’accueil des visiteurs, mais aussi garantir la sécurité du personnel. « Nous accueillons tous les publics, indique Delphine Mouligner, et il peut arriver que nous soyons confrontés à certaines formes d’agressivité. Il ne s’agit pas d’avoir peur mais d’avoir un fonctionnement qui permet à nos salariés de se mettre en sécurité si besoin. » Chaque pièce est munie de plusieurs portes. Et l’accueil central bénéficie des regards croisés de nombreux personnels, dont les parois des bureaux sont vitrées.

La majorité des salariés a tendance à rester à l’étage de son territoire d’équipe, mais certains changent volontiers de niveau. Cette fluidité dans les lieux de travail semble donner satisfaction, selon une enquête menée auprès des salariés quelques mois après leur installation, à l’initiative du service de prévention et de santé au travail (SPST) et en partenariat avec l’ORSB. Autres sources de contentement : l’amélioration des locaux, la pluralité des espaces à disposition pour travailler et l’articulation avec le télétravail. « Le télétravail ressort comme une marge de manœuvre essentielle dans la mise en place du flex office, qui implique une complémentarité entre divers espaces de travail, le télétravail étant un espace en lui-même, précise Pauline Baron-Latouche. La présence par intermittence est l’avantage le plus cité par les salariés de Néotoa (59 %), et 61 % des répondants jugent favorablement la possibilité d’adapter son rythme de travail. »

Le télétravail offre un lieu de calme bienvenu. Car s’ils sont globalement satisfaits, les salariés en flex office évoquent « des difficultés de concentration et de confidentialité des échanges, en lien avec les nuisances sonores qui sont la première source de difficulté rencontrée ». Exprimés alors que les travaux étaient encore en cours, ces sentiments d’inconfort ont sans doute évolué maintenant que le site est entièrement aménagé. Une seconde enquête de satisfaction, en cours d’analyse, permettra d’en juger.

L'intégralité de notre dossier n°127 à télécharger
 

Dossier Santé & Travail Flex office.pdf