Alors que 22 % des actifs présentent « une détresse orientant vers un trouble mental », ce chiffre s’élève à 33 % lorsque ces derniers travaillent en flex office, selon une étude épidémiologique de la Fondation Pierre Deniker croisant, pour la première fois en 2018, une évaluation de la santé mentale des travailleurs et leur exposition aux facteurs de risques psychosociaux.
C’est dire à quel point le choix d’une organisation en flex office ne peut s’opérer sans la vigilance accrue des représentants du personnel, qui doivent s'assurer que la suppression des bureaux attitrés ne génère pas de nouveaux risques pour la santé des salariés.
Mais beaucoup se trouvent désemparés face à la technicité de ce type de projets, l’opacité du calendrier de mise en œuvre et la multiplicité des acteurs impliqués. D’où la nécessité pour le comité social et économique (CSE), souvent peu spécialiste des questions d’aménagement, de recourir à des expertises ad hoc, comme le prévoit le Code du travail. « Etre accompagné peut grandement aider à “démêler” les différentes étapes, structurer sa démarche et ses propositions, et s’assurer que leurs préconisations soient prises en compte au fil de l’eau », estime Françoise Bruna-Rosso, experte au cabinet Secafi.
Intervenir à chaque étape
Les projets de flex office suivent trois étapes principales. « Les dirigeants se concertent pour trouver de nouveaux locaux ou changer les aménagements, puis vient une phase de réflexion sur les espaces avec l’élaboration des micro et macro-zonings. Viennent enfin le déménagement et les travaux, avec la mise en place de nouvelles règles », liste Françoise Bruna-Rosso. Le macro-zoning s’intéresse à l’aménagement global des espaces et le micro-zoning à l’installation plus fine des postes de travail. Les représentants des salariés, eux, « sont souvent consultés en fin de première phase, lorsque la décision est prise, ou au début de la deuxième », observe Françoise Bruna-Rosso. Et c’est souvent trop tard : les élus n’ont plus de marge de manœuvre.
« C’est pourquoi ils ne doivent pas se laisser enfermer dans la consultation telle qu’elle est prévue par le Code du travail mais obtenir de l’employeur une association plus étroite et constante », recommande Bernard Dugué, sociologue et ergonome à l'université de Bordeaux (lire encadré). Dans un premier temps, il s’agit d’amener la direction à préciser l’organisation prévue, son calendrier et son impact sur les conditions de travail. Mais la principale question est celle des motivations réelles du choix du flex office. « Il faut demander à l’employeur ce qui sous-tend le projet : de quel état des lieux part-il, qu’est-ce qui justifie de transformer l'existant, insiste Bernard Dugué. Les objectifs doivent être clairement affichés, comme une condition même du rendu d’un avis par le CSE. » Ce préalable permet de mettre le doigt sur les raisons, pas toujours assumées, de la transformation de l’espace de travail, et d’agir en fonction.
Respecter les proximités fonctionnelles
Notamment en s’efforçant de recentrer les débats sur la question du travail. En quoi, par exemple, brasser des salariés de différents services et niveaux hiérarchiques est-il bénéfique pour le travail ? Si l’employeur n’est pas capable de répondre, c’est qu’une approche globale et indifférenciée du flex office n’est pas pertinente, et qu’il est préférable de réfléchir à un déploiement « sur mesure », par service ou par unité.
Il faut ainsi « recenser les besoins d’échanges collectifs, de collaboration, de proximité, d’équipements spécifiques dans les équipes, en prenant en compte leur variabilité dans le temps », préconise l’ergonome. C’est toute la question des proximités fonctionnelles, dont on sait qu’elles sont gages d’efficacité du travail : quels collègues ont besoin de collaborer, de s’échanger des conseils, etc. ? Le savoir-faire des élus sera alors de « mobiliser les salariés autour des besoins qu'ils peuvent exprimer sur leur activité, notamment sur leurs critères pour bien travailler », poursuit Bernard Dugué. Le CSE peut aussi réclamer à l’employeur des analyses d’impact du flex office et des simulations en fonction de différents paramètres.
A ce stade, si les représentants du personnel ne sont pas parvenus à éviter la mise en place du flex office, il s’agit de discuter des conditions de son déploiement, à travers un cahier des charges. Cet outil peut reprendre les préconisations de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) sur l’aménagement des bureaux, que le flex office ne dispense pas de respecter : une surface minimale par salarié de 10 à 15 m2 et, dans les bureaux paysagers, un effectif qui n’excède pas 10 personnes par unité de travail. « Le flex office peut densifier l’occupation des espaces, ce qui augmente l’importance de l’aménagement et du confort : aération, insonorisation, sécurité…, prévient Françoise Bruna-Rosso. Attention à ne pas surcharger l’espace pour finir avec un open space à 80 décibels ressemblant à un “hall de gare”. » Dans ce cas, relève Bernard Dugué, « la mutualisation des espaces de travail a vite fait de se transformer en mutualisation des nuisances ». D’où l’importance également d’« obtenir de l’entreprise un suivi de la mise en œuvre, la remontée des retours d’expérience et la possibilité de faire des ajustements », conseille le chercheur.
Une charge émotionnelle accrue
Autre sujet sur lequel le CSE doit ouvrir l’œil : sous couvert d’introduire de l’« agilité » dans un « environnement de travail dynamique », le flex office peut au contraire créer de nouvelles rigidités dans l’organisation du travail. « Le seul fait de prévoir moins de postes que de salariés est déjà en soi un parti pris rigide, qui les oblige à adapter leur activité », pointe Bernard Dugué. Un parti pris que traduit le fameux « taux de flex », également appelé taux de partage, c’est-à-dire le ratio entre le nombre de bureaux disponibles et celui des salariés. Même s’il structure le projet de flex office, il n’est pas l’alpha et l’omega de son succès et ne doit pas être abordé sans avoir auparavant discuté de l’ensemble des impacts du projet sur le travail lui-même, en lien avec la question de l’organisation du télétravail. « Le taux de flex doit tenir compte du nombre de salariés présents chaque jour, du télétravail et des habitudes de travail, confirme Françoise Bruna-Rosso. Les représentants doivent vérifier que ce taux reflète bien la réalité du travail, et du télétravail, et qu’il correspond aux jours de présence de chacun. »
Sur le plan juridique, le passage au flex office impose enfin de mettre à jour le document unique d’évaluation des risques (Duer), soumis à la consultation du CSE. Les élus doivent donc aussi s’informer sur les risques, notamment psychosociaux, engendrés par le télétravail, ainsi que les mesures de prévention. A ce propos, l’INRS
met en garde : « En décomposant le travail comme une suite de tâches indépendantes et successives, les concepteurs de ces espaces excluent la complexité du travail réel (…) qui n’est pas forcément compatible avec le séquençage projeté de l’occupation de l’espace. Cela réduit aussi l’espace à sa simple dimension matérielle, en écartant ses dimensions symboliques et psychologiques. » L’institut souligne également le risque d’intensification de la charge cognitive et émotionnelle du travail, assorti d’une forme d’isolement. Autant de points de vigilance pour les élus, avant et après la mise en place du projet.
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