La stratégie de la direction est d'afficher la caution des partenaires sociaux, dont le CHSCT, pour accompagner la mise en place d'une nouvelle organisation du travail", dénonce Thierry Jaeger, secrétaire du CHSCT de l'usine Tefal-Seb de Rumilly, en Haute-Savoie. En ligne de mire de ce militant CGT : les groupes paritaires sur les questions de santé au travail mis en place par la direction, sur les conseils de la caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) Rhône-Alpes. Composés des représentants du personnel au CHSCT, de salariés, de membres de la direction, d'experts en ergonomie et du médecin du travail, ces groupes planchent sur la prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS), des risques psychosociaux (RPS) ou de la pénibilité au travail.
Faire passer l'automatisation
Si les organisations syndicales de l'entreprise ont accepté de jouer le jeu d'une démarche présentée comme participative, certains élus commencent cependant à en mesurer les dangers. Les élus CGT, notamment, estiment que ces réunions n'ont pas contribué à l'amélioration des conditions de travail. Pire, ils y voient un moyen d'accompagner la mise en place d'une nouvelle méthode de production, le lean manufacturing, tout en contournant les missions du CHSCT. "En participant à ces groupes, les élus CHSCT n'ont plus aucune marge de manoeuvre, comme celle de demander une expertise indépendante", constate Thierry Jaeger. Représentant syndical FO au CHSCT, Jean-Claude Petit assiste à ces groupes de travail pour y exercer un droit de regard et partage sensiblement la même analyse : "L'objectif est clairement de contourner les missions du CHSCT." Médecin du travail, la Dre Sophie Hennion dresse pour sa part un bilan positif : "Participer à ces groupes de travail m'a permis de transmettre un avis d'expertise à l'ensemble des acteurs, afin de progresser ensemble sur les questions de santé et les messages de prévention."
D'après la CGT, la direction de Tefal-Seb s'est appuyée sur les groupes de travail TMS et pénibilité pour faire passer son projet d'automatisation des lignes. "L'automatisation, présentée par la direction comme une amélioration des conditions de travail, s'est traduite par la suppression de nombreux postes", déplore Thierry Jaeger. Avec le non-remplacement des départs en retraite ou des intérimaires, la charge de travail s'est intensifiée pour les opérateurs restants. Les représentants syndicaux craignent une augmentation du nombre de TMS. "Sur 1 800 salariés, l'entreprise compte déjà près de 300 maladies professionnelles déclarées, en majorité des TMS des membres supérieurs", signale Thierry Jaeger. Jean-Claude Petit fait état de son côté d'une augmentation des cadences de travail. Selon lui, à peine 10 % des lignes ont été automatisées et la majorité des postes restent pénibles, avec des gestes répétitifs, alors que les effectifs sont en baisse. "Les volumes de production n'ont pas diminué, bien au contraire. Des salariés de plus en plus jeunes déclarent des TMS. Que va faire l'entreprise de tous ces opérateurs à reclasser, alors que les postes dits "doux" sont largement insuffisants ?", s'inquiète-t-il.
La direction de l'entreprise précise qu'elle a lancé un plan d'action pour la prévention des TMS : suppression des postes les plus pénibles, formation des opérateurs à des exercices d'étirement et d'échauffement, mise en place de référents en prévention TMS pilotés par l'ergonome... Une nouvelle organisation du travail baptisée OPS, pour "Objectif performance Seb", a été introduite : mise en oeuvre de la fameuse méthode lean dite "des 5 S", réunions de débriefing quotidiennes des salariés dans les ateliers... "L'automatisation et la méthode des 5 S permettent d'augmenter l'efficacité industrielle tout en améliorant les conditions de travail de nos salariés", soutient Dan Abergel, directeur des ressources humaines chez Tefal-Seb. "Nous avons le souhait de continuer à produire en France", ajoute-t-il.
"Records d'absentéisme"
Faut-il interpréter cette phrase comme une menace voilée de délocalisation ? C'est ce que pensent les organisations syndicales, qui y voient la source d'une nette augmentation du stress dans l'entreprise. "Les salariés ont une peur panique de ne pas assurer leurs objectifs de production. Certains craquent et pleurent au travail", raconte le secrétaire du CHSCT. "Nous battons des records d'absentéisme pour maladie, en dépit de la mise en place d'une politique de contrôle des arrêts par un cabinet privé", note Jean-Claude Petit. A la suite d'une alerte du CHSCT, la direction a, dans un premier temps, fait appel au cabinet Essor Consultants, dont les conclusions sur les risques psychosociaux ont été saluées par les élus du personnel.
Boycott intersyndical de groupes de prévention à l'Afpa
Dans le cadre d'un plan pour la qualité de vie au travail, l'ancienne direction de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) avait mis en place en 2011 des groupes de prévention des risques psychosociaux. Une tentative de contournement des CHSCT selon les syndicats CFDT, CFTC, FO et Sud de l'association, qui ont appelé fin 2011 à un boycott de ces groupes. Dans un communiqué intersyndical, ces organisations expliquaient leur démarche : "Les problèmes de vie au travail et les difficultés individuelles des salariés n'ont pas à être traités par des "groupes" dont le fonctionnement n'est pas régi par le Code du travail. C'est la porte ouverte à tous les abus et manipulations, sans aucun garde-fou." Pour François Duval, délégué central pour Sud FPA, l'objectif était surtout d'associer les salariés à la mise en oeuvre d'un plan stratégique, conduisant à "la casse de l'Afpa et à une dégradation des conditions de travail du personnel". Ce plan stratégique a été abandonné depuis, lors d'un changement de direction. Et un Livre noir des conditions de travail à l'Afpa
élaboré par une commission du comité central d'entreprise à partir de synthèses d'expertises CHSCT, a été présenté en juillet dernier à la nouvelle direction.
Dans la foulée, le groupe de travail RPS a donné son aval pour mener une nouvelle enquête, sur le climat social dans l'entreprise. Se contentant d'en informer le CHSCT, la direction l'a commanditée au cabinet Turka. "Cette enquête, conduite sur la base d'un questionnaire de l'Institut national de recherche et de sécurité, n'a pas montré de problème majeur dans l'entreprise", souligne Dan Abergel. Pour les élus du CHSCT, qui n'ont pas été associés à la méthodologie retenue par le cabinet, l'enquête est loin de refléter la réalité. La direction a ensuite présenté un plan d'action sur les RPS : création d'une cellule d'écoute et d'accompagnement, aménagement de "coins repos"... "Je ne vois aucune évolution positive pour la prévention des risques psychosociaux. Rien n'a avancé. C'est la direction qui gère tout selon son propre agenda", critique le secrétaire du CHSCT.