Le secteur du spectacle, qu'il soit vivant (théâtre, danse, cirque, musique...) ou enregistré (cinéma, audiovisuel), emploie près de 400 000 personnes, dont 250 000 salariés intermittents comptabilisés par Pôle emploi. Ces dernières années, les entreprises du spectacle se sont multipliées. Il s'agit le plus souvent de petites structures à l'équilibre précaire, majoritairement des associations. La production de spectacles induit un fonctionnement par "projet artistique", mobilisant sur une courte durée une équipe artistique, technique et administrative. Les salariés du spectacle, artistes et techniciens, travaillent ainsi le plus souvent de façon discontinue en CDD ou CDD dit "d'usage" (voir "Repères"). Soumis à une forte précarité, dans un environnement concurrentiel du fait de l'attractivité de leurs métiers, ils doivent multiplier les petits contrats pour arriver à vivre de leur activité professionnelle.
D'après une étude de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), le spectacle présente des spécificités en matière de risques professionnels (voir "Sur le Net") : coactivité de différents métiers sur une scène ou un tournage, caractère éphémère des projets ou productions, rythmes de travail atypiques, polyvalence des salariés, forte mobilité géographique... Les accidents de plain-pied ou liés aux manutentions et les chutes de hauteur sont fréquents. Les maladies professionnelles reconnues, peu nombreuses, sont principalement des troubles musculo-squelettiques (TMS).
Conditions d'emploi délétères
Repères
Le recours à des contrats à durée déterminée (CDD) dits "d'usage" est parfaitement légal dans certains secteurs d'activité, comme les métiers des arts et du spectacle ou encore l'audiovisuel. Ces contrats présentent de nombreux avantages pour l'employeur en lui permettant d'échapper aux contraintes des CDD "classiques", tels le fait de pouvoir renouveler les contrats sans limitation, de ne pas devoir inscrire de date de fin de contrat, ou encore de ne pas avoir de délai d'attente entre deux contrats.
Côté prévention, le Centre médical de la Bourse (CMB), service interentreprises de santé au travail en charge du suivi des salariés du spectacle, a rédigé une série de 21 fiches "risque" destinées aux artistes et techniciens. Ces fiches, distribuées à l'issue de chaque visite médicale du travail, ont été élaborées et validées avec les organisations professionnelles du secteur. L'Association régionale pour l'amélioration des conditions de travail (Aract) Lorraine a, quant à elle, conçu et mis en ligne un web-documentaire (voir "Sur le Net") sur la prévention des risques liés à l'activité des techniciens du spectacle. Les conditions d'emploi des salariés du secteur compliquent néanmoins la prise en charge des atteintes à la santé. "L'intermittence conduit à une sous-déclaration importante en termes d'accidents du travail et de maladies professionnelles. Les intermittents ont tellement peur d'être écartés du monde du spectacle qu'ils se taisent, déclare Hervé Clermont, de la Caisse régionale d'assurance maladie Ile-de-France (Cramif). En cas de maladie, le reclassement est tellement difficile que les salariés vont jusqu'au bout de leurs possibilités, au risque d'aggraver leur pathologie." "Ils n'hésitent pas à cacher leurs problèmes de santé pour ne pas manquer une opportunité qui se présenterait", ajoute Antonella Corsani, sociologue et chercheuse à l'Institut des sciences sociales du travail.
Qui plus est, l'alternance de périodes chômées et travaillées peut compromettre l'indemnisation par la Sécurité sociale en cas d'arrêt maladie. "J'ai travaillé en étant malade, jusqu'à ce que je n'en puisse plus et que je doive m'arrêter, témoigne Gabrielle, régisseuse technique. Au bout de six mois d'arrêt, je n'ai plus eu droit à des indemnités journalières. En arrêt maladie, je ne pouvais pas non plus prétendre à une indemnisation par Pôle emploi." Le problème est similaire pour les intermittentes enceintes, souvent privées d'indemnités pendant leur maternité en raison d'un nombre d'heures travaillées insuffisant. Comme l'explique dans un article Nicolas Roux
, sociologue du Laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique (Lise), "la discontinuité de l'emploi des intermittents est productrice de zones de précarité d'accès aux droits, accentuant la difficile soutenabilité de leur situation d'emploi à long terme".
Fatigue et stress cumulés
Les intermittents ont d'autant plus de mal à comprendre ces difficultés d'accès aux droits qu'ils estiment travailler énormément. "Je travaillais entre 60 et 80 heures par semaine. Mais j'étais déclarée beaucoup moins, car les petites compagnies n'ont plus les moyens nécessaires", raconte Gabrielle. Une bonne partie de la charge de travail des salariés du spectacle reste en effet invisible. Les sociologues Marie-Christine Bureau et Antonella Corsani soulignent dans un article
qu'il existe une règle tacite dans le spectacle "selon laquelle une heure déclarée correspondrait à trois heures de travail effectif". Les syndicats dénoncent bien sûr ce travail dissimulé"Les intermittents sont malheureusement dans une telle situation de fragilité que certains peuvent tout accepter pour continuer à travailler", constate Denys Fouqueray, du Syndicat français des artistes interprètes CGT. "Il existe bien des conventions collectives qui régissent les conditions de travail, mais elles sont de moins en moins respectées", observe de son côté Serge Vincent, de l'Unsa spectacle et communication.
Avec la baisse des subventions pour le spectacle et la culture, les petites compagnies et productions ont tendance à réduire au maximum le nombre de jours travaillés afin de diminuer les frais salariaux. "Cela entraîne des amplitudes de travail affolantes, avec bien souvent des heures non déclarées", déplore un représentant de la CFDT communication conseil culture. Dominique Robert, du syndicat de techniciens du spectacle SNTPCT, parle lui aussi de journées de travail de 12 ou 13 heures d'affilée. La fatigue accumulée augmente bien entendu le risque d'accident du travail, notamment pour les techniciens qui conduisent les camions transportant le matériel. "Comme il faut aller de plus en plus vite, on fait de moins en moins attention aux conditions d'hygiène et de sécurité", confirme Serge Vincent. Pour le cinéma et l'audiovisuel, il existe bien des comités centraux d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de branche, mais il leur est difficile d'intervenir sur les multiples lieux de tournage.
La précarité de l'emploi a aussi des effets sur la santé psychique. Tous les salariés évoquent l'angoisse du lendemain, de ne pas savoir s'ils vont trouver un nouveau contrat ou totaliser les heures nécessaires pour prétendre à une indemnisation par Pôle emploi. Selon Rose-Marie Pechallat, de l'association Recours radiation, "il existe un véritable flicage des intermittents du spectacle, considérés comme des fraudeurs potentiels. J'ai vu de nombreuses personnes dans des situations de stress intense". Certains de leurs cachets peuvent être requalifiés par Pôle emploi comme non éligibles au régime des intermittents du spectacle. Beaucoup de salariés se retrouvent ainsi sans indemnités. Enfin, le statut d'autoentrepreneur commence à se développer. Une nouvelle forme de précarité bien moins protectrice des droits sociaux...