Le constat est quasi unanime. Là où ils existent, les CHSCT ont acquis une légitimité réelle auprès des salariés. Ces institutions représentatives du personnel (IRP) disposent-elles pour autant de moyens et prérogatives adaptés à l'évolution de plus en plus complexe du monde du travail ? Cette préoccupation devrait être abordée lors d'une négociation interprofessionnelle en cours sur la modernisation du dialogue social et la refondation des IRP. "La gravité de la crise devrait inciter les employeurs à écouter les salariés à propos des questions d'organisation du travail et de santé, souligne Marcel Grignard, secrétaire national adjoint de la CFDT. Le trentième anniversaire des lois Auroux pourrait être un accélérateur du processus."
Egalité des droits
Premier constat, dressé par les responsables syndicaux comme par les experts : l'institution mérite d'être étendue. "Deux tiers des salariés ne sont pas couverts par un CHSCT", relève Alain Alphon-Layre, chargé des questions de santé à la direction nationale de la CGT. "L'hygiène, la sécurité et la santé au travail concernent l'ensemble des travailleurs, y compris ceux des PME et des TPE", note également Jean-Marc Bilquez, responsable du secteur de la protection sociale à Force ouvrière, qui revendique "un champ élargi à l'ensemble des entreprises, quelle que soit leur taille".
Cette revendication vise notamment les situations de sous-traitance des risques entre les grandes entreprises donneuses d'ordres et leurs fournisseurs, pour l'essentiel des PME dépourvues de toute forme de représentation des salariés. Des tentatives de CHSCT de site sont suivies avec attention par la CGT dans des centres commerciaux, où cohabitent grandes enseignes et petites boutiques, mais aussi dans l'industrie chimique et pétrolière autour de l'étang de Berre, près de Marseille. La CFDT évoque, elle, la création de commissions locales ou régionales intégrant les questions de santé au travail.
"Tous les salariés devraient être logés à la même enseigne et disposer des mêmes prérogatives", avance Eric Beynel, porte-parole de l'union syndicale Solidaires. Il préconise une harmonisation du fonctionnement des CHSCT entre le privé et la fonction publique, où ces instances n'ont été mises en place que depuis un accord de 2009 sur la santé au travail, mais avec de moindres prérogatives. Il propose aussi la généralisation des cinq jours de formation des représentants aux entreprises de moins de 300 salariés.
Selon François Cochet, du cabinet d'expertise Secafi, les moyens d'action des CHSCT mériteraient d'être révisés, en tenant compte à la fois de la dispersion des sites et du nombre de métiers. "La RATP a un CHSCT pour les conducteurs de bus, un pour le métro, un pour le RER. A contrario, la ville de Lyon ne dispose que d'un seul CHSCT pour les 240 métiers représentés dans cette collectivité", fait-il remarquer. Pour lui, les grandes entreprises devraient être dotées de comités centraux, ne serait-ce que pour "confronter les dirigeants des grands groupes à la parole des salariés sur les questions de santé au travail. Cela contribuerait à replacer la réalité du travail au coeur des stratégies d'entreprise".
Les conséquences des restructurations ou réorganisations sur les conditions de travail figurent parmi les préoccupations majeures qui ont émergé ces dernières années. "Les CHSCT sont consultés sur des projets présentés par les directions, expose Jean-Louis Vayssière, du cabinet Syndex. Ils donnent alors un avis qui prend en compte les risques potentiels liés à ces derniers. Ils devraient pouvoir bénéficier d'un droit de suite, une fois les projets mis en oeuvre.C'est souvent dans les premiers mois que les nouvelles organisations révèlent, en situation réelle, leurs effets sur les conditions de travail." Face à la complexité des situations à risque, experts et syndicalistes insistent sur la nécessité de renforcer les moyens de prévention. Solidaires demande un droit d'alerte sur les modes d'organisation du travail. FO s'est prononcée en faveur d'une conférence nationale sur la prévention, pour instituer des procédures "avant qu'il ne soit trop tard"
"La manière dont on travaille peut avoir des incidences perceptibles sur la planète", considère également Alain Alphon-Layre, en référence aux incidents dans les centrales nucléaires ou sur les plates-formes pétrolières. "Il serait donc nécessaire, assure-t-il, de transformer la structure en CHSCTE, avec le E d'"environnement"." Pour Gérard Brégier, du cabinet Technologia, l'élargissement des missions du CHSCT au développement durable pourrait bien être la "prochaine étape majeure", en englobant les questions d'organisation, de santé, de risque, de responsabilité juridique et pénale...
"Depuis trente ans, des compétences ont été ajoutées et se sont empilées, constate pour sa part François Cochet. Les moyens sont en retard sur les missions.La mule est trop chargée et les CHSCT ont du mal à faire face à leurs responsabilités." De fait, syndicats et experts s'interrogent sur l'avenir de cette instance. Marcel Grignard en est persuadé, "la légitimité des membres des CHSCT doit être renforcée. Leurs prérogatives et leur capacité d'intervention en matière de santé et d'organisation du travail devraient être équivalentes à celles des comités d'entreprise sur l'économie et la stratégie des entreprises".
Election directe ?
Dans la négociation ouverte sur la modernisation du dialogue social et la refondation des IRP, aucun syndicat ne semble avoir rejoint la proposition patronale de fusionner le CE et le CHSCT. La réflexion porte plutôt sur l'articulation et la coordination des deux instances, avec des pouvoirs et moyens renforcés, et sur de nouveaux droits d'expression collective des salariés.
En revanche, les avis divergent à propos de la désignation des représentants du personnel au CHSCT. La plupart des syndicats (CFDT, Solidaires, CFE-CGC...) plaident en faveur de leur élection directe par les salariés, afin de doter les élus d'une "légitimité démocratique reconnue", tant auprès du personnel que de la direction. "Cela permettrait de mieux faire connaître leur action et de les inciter à en rendre compte", estime le Dr Bernard Salengro (CFE-CGC). Ou "de stimuler le débat sur les conditions de travail", soutient François Cochet.
"La situation actuelle nous satisfait, déclare à l'inverse Jean-Marc Bilquez. L'essentiel est plutôt de trouver des moyens accrus pour que toutes les organisations se retrouvent autour de la table." Selon Gérard Brégier, "l'élection actuelle des représentants au deuxième degré par les élus du CE et les délégués du personnel, comme le sont les sénateurs par les grands électeurs, leur assure une représentativité supplémentaire et une légitimité incontournableLes CHSCT sont pleinement dans l'action syndicale. Mais au regard des sujets traités, ils doivent être capables de dépasser les clivages". Pour l'heure, le débat est loin d'être tranché.