Les psychopathologies du travail renvoient à différents processus pathogènes que seule l'analyse de l'activité et de son organisation permet d'identifier. Ces processus génèrent parfois les mêmes pathologies - dépression, trouble anxieux généralisé ou stress post-traumatique -, mais leur forme est toujours singulière, s'inscrivant dans l'histoire du travail et de la santé de chacun.
Les pathologies de surcharge
Les pathologies de surcharge résultent de l'intensification d'un travail générant un excès ingérable de sollicitations gestuelles, cognitives ou émotionnelles et faisant s'effondrer le soutien social. Pour tenir, il ne faut plus penser son travail. Ces pathologies sont à l'origine d'effondrements dépressifs, mais aussi de manifestations somatiques telles que des maladies cardiovasculaires ou des troubles musculo-squelettiques (TMS).
Le syndrome de burn-out, qui n'est pas une pathologie, est souvent mis en avant pour expliquer ces atteintes. Il renvoie à un processus d'épuisement, qui peut mener à une dépression. Il y a néanmoins un risque pour la restauration de la santé à se limiter à ce mot "fourre-tout", qui amalgame causes et conséquences. Il ne permet pas d'élucider précisément le rôle joué par le travail dans le développement de la pathologie. Il fait aussi écran au diagnostic d'une pathologie plus spécifique et à sa reconnaissance en maladie professionnelle.
La dépression professionnelle est une des issues morbides des pathologies de surcharge. Elle est déclenchée par des événements qui engagent le rapport subjectif du salarié au travail et qui demeurent en partie non pensés. L'amputation de la capacité de raisonner du fait de défenses psychiques mises en oeuvre dans le cadre du travail, les défauts majeurs de reconnaissance des contributions individuelles et la fragilisation du "travailler ensemble" peuvent en majorer le risque. Il s'agit de la pathologie mentale la plus répandue sur les lieux de travail, et pourtant la moins socialisée. Si son lien direct et essentiel avec le travail est démontré, elle peut être reconnue d'origine professionnelle. Mais cette possibilité est restreinte par la nécessité réglementaire d'un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) supérieur à 25 %.
Les pathologies post-traumatiques
Liées à un état de stress traumatique aigu ou chronique, les pathologies post-traumatiques, autrefois exceptionnelles dans le cadre du travail, se développent aujourd'hui. Elles sont constituées par les conséquences psychopathologiques des violences symboliques ou physiques dont sont victimes des personnes dans l'exercice de leur activité. Les organisations du travail qui prescrivent des résultats à atteindre tout en faisant l'impasse sur l'activité réelle déployée par les salariés pour y arriver, et qui augmentent la charge de travail émotionnelle, sont propices à l'apparition de ces pathologies. Les salariés en rapport avec du public, pris dans des logiques clients-fournisseurs dégradées, écartelés entre des objectifs contradictoires de qualité et commerciaux ou stigmatisés par des évaluations individuelles des performances qui dénient leur contribution sont particulièrement concernés.
Le tableau clinique de l'état de stress post-traumatique regroupe une anxiété généralisée, associée à des troubles du sommeil majeurs et à des crises d'angoisse pendant lesquelles le sujet revit de façon répétitive la scène traumatique. Cet état peut s'accompagner de symptômes névrotiques généraux, de phobies, d'obsessions ou de conversion hystérique. Il peut y avoir des symptômes psychosomatiques, cardiaques ou digestifs. Faute de pouvoir échapper au risque dans la réalité, les travailleurs adoptent des stratégies mentales de lutte contre la perception de la peur, peur dont ils n'arrivent pas à identifier l'origine.
L'état de stress post-traumatique peut être déclaré en accident du travail. Cette déclaration peut toutefois mettre en difficulté le travailleur et renforcer son isolement. Elle doit donc faire l'objet d'un accompagnement collectif solidaire pour faire obstacle au risque de victimisation, qui empêcherait la mise en discussion des contradictions du travail.
Les pathologies de la solitude
Les pathologies de la solitude découlent de la maltraitance d'un management individualisant, accompagnée parfois de harcèlement. Seul face à son vécu d'injustice, le sujet finit par se remettre en question, par intégrer les jugements péjoratifs portés sur son travail ou sa personne. Il s'épuise, commet des erreurs qui le convaincront qu'il est fautif. La spirale de la dépression se déploie alors, avec un sentiment d'imposture, de faute, de déchéance.
La souffrance éthique qui précède ces pathologies résulte du fait de collaborer ou de consentir à des actes que l'on réprouve. On ne fait pas ce qu'on veut de son sens moral. La souffrance éthique se nourrit de l'expérience de la lâcheté et de la soumission. Elle touche la question de l'identité. En se conduisant comme un lâche, on trahit les autres, mais d'abord soi-même et l'image que l'on se fait de sa personne. Le risque est la perte de l'estime de soi, qui est aussi la condition de l'estime d'autrui, ce qui s'accompagne d'un effondrement de la solidarité. L'angoisse qui en naît peut conduire à une crise psychopathologique. Mais la souffrance éthique peut aussi générer des stratégies psychiques de défense, qui consistent à engourdir sa conscience morale par la formation d'un déni de perception de ce qui dans le travail fait souffrir, soi ou les autres.
Enfin, la crise suicidaire concerne un salarié particulièrement mobilisé dans son travail et qui a perdu, du fait de son surengagement, la capacité de prendre soin de sa santé. Dans la majorité des cas, une histoire très longue et très construite de souffrance au travail préexiste, souvent effacée de la perception par un activisme professionnel défensif. Un événement inaugural survient alors, qui transforme brutalement le vécu du travail. Apparaissent des sentiments de perte de valeurs, d'injustice, de trahison, d'abandon, de dévalorisation, de culpabilité. Parmi les facteurs qui provoquent la décompensation psychique, on retrouve fréquemment des conflits avec la hiérarchie sur la belle ouvrage ou des conflits de valeurs à l'origine d'une souffrance éthique. L'identité est atteinte par la perte du sens de la situation de travail elle-même. Les mécanismes de défense psychique pour tenir coûte que coûte, puis l'isolement, la fuite, l'évitement mènent à l'effondrement. Tout cela génère la haine de soi et le passage à l'acte.
De l'individuel au collectif
L'élucidation par le sujet des causes de sa souffrance liées au travail est un passage obligé pour qu'il recouvre sa capacité d'action et sa santé. Si la souffrance est un vécu individuel, c'est la prise en compte de ses déterminants collectifs qui permet d'en sortir. D'où l'importance de toute alerte collective sur des situations délétères Une réflexion critique sur l'exaltation démesurée de la performance individuelle comme sur les causes de la fragilisation des collectifs de travail est aussi nécessaire. Cela pour permettre la mise en délibération de règles professionnelles entre pairs, rouvrir un débat concernant les moyens de développer la coopération, le "travailler ensemble", et faire ainsi évoluer l'organisation du travail.