Risque cardiovasculaire : le travail, bourreau du coeur
Quand on évoque l'impact des nouveaux modes d'organisation du travail sur la santé, on pense spontanément aux risques psychosociaux et aux troubles musculo-squelettiques (TMS). Plus rarement aux risques cardiovasculaires. Sauf lorsqu'il s'agit d'évoquer le traditionnel cliché du cadre supérieur surmené, cumulant les comportements à risque - sédentarité, stress, tabac, alcool, alimentation trop riche -, avec un taux de cholestérol à faire pâlir un cardiologue. Mais cette image n'a qu'un lointain rapport avec la réalité.
Les enquêtes épidémiologiques nous enseignent au contraire que la mortalité cardiovasculaire prématurée - avant 65 ans - des cadres est deux à trois fois moins importante que celle des ouvriers. Ainsi, plus on descend dans la hiérarchie sociale et professionnelle et plus le risque cardiaque augmente, comme l'ont révélé les études de Whitehall, au Royaume-Uni. En vingt-cinq ans de travaux, les Britanniques ont mis en évidence qu'un déséquilibre chronique entre de fortes contraintes au travail et de faibles marges de manoeuvre pour y faire face augmente le risque cardiovasculaire. A l'inverse, un sentiment de " justice organisationnelle " - celui que ressentent les salariés lorsque leur point de vue est pris en compte - réduit ce risque.
Depuis, ces résultats ont été largement confirmés par d'autres recherches, qui pointent notamment les effets cardiovasculaires d'une exposition prolongée aux horaires alternants et à un stress chronique, à mettre lui-même en relation avec certaines contraintes psychologiques et organisationnelles au travail : pression temporelle ou quantitative, injonctions paradoxales, manque d'autonomie ou de soutien, conflit de valeurs, non-reconnaissance, difficultés de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale...
Chacun reconnaîtra, dans cette liste, le tableau des facteurs organisationnels déjà décrit dans nos colonnes à propos de la montée chez les salariés de la souffrance psychique et des atteintes ostéoarticulaires. La prévalence de ces contraintes de travail est forte dans les entreprises et les administrations, comme le montrent les dernières enquêtes nationales ou européennes : pour les facteurs les plus marqués, près du quart des hommes peuvent être atteints, selon la dernière enquête Sumer (pour " Surveillance médicale des risques professionnels "), et 35 % des femmes.
Au passage, on notera que l'alignement des femmes sur les hommes en matière de mortalité cardiovasculaire, attribué généralement à des évolutions de comportement vis-à-vis du tabac et de l'alcool, se nourrit aussi certainement de leur exposition plus forte qu'auparavant au travail de nuit ou à la précarité de l'emploi.
Mais de cela on parle peu et sur cela on agit peu. Dans les entreprises, un consensus social est établi pour évacuer le travail et son organisation de la prévention du risque cardiovasculaire. Le coeur et les artères sont logés à la même enseigne que la tête s'agissant de la prévention. Plus encore que pour les risques psychosociaux, c'est l'approche individuelle qui prévaut systématiquement, trop souvent avec la participation de la médecine du travail ou des représentants du personnel. La prévention se concentrera sur le dépistage des sujets à risque et une sensibilisation à l'arrêt de la cigarette, aux pots sans alcool, aux bienfaits de l'exercice physique ou au changement d'habitudes alimentaires. Une stratégie inefficace si l'on ne tient pas compte de ce qui, dans le travail, peut nuire directement à la santé cardiovasculaire ou favoriser les comportements à risque.