Sur les accidents du travail, l'intervention des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) se réduit souvent à peu de chose. La situation la plus courante se résume à un débat autour d'un bref exposé trimestriel de l'employeur lors des réunions ordinaires, à partir d'éléments statistiques (nombre d'accidents, durée des arrêts, indices). Pourtant, l'analyse des causes des accidents du travail constitue une pièce maîtresse du dispositif de prévention des risques au sein des entreprises. Et elle fait partie des missions des CHSCT. L'article L. 4612-5 du Code du travail précise ainsi que le CHSCT réalise des enquêtes en matière d'accidents du travail.
Certes, le temps attribué aux représentants du personnel (RP) pour réaliser ces enquêtes est souvent limité, puisqu'ils doivent les mener sur leurs heures de délégation. Il existe néanmoins une exception, en cas d'accident du travail grave ou d'incidents répétés révélant un risque grave. Le temps consacré aux enquêtes n'est alors pas déduit des heures de délégation (art. L. 4614-6 du Code du travail).
L'application de cette disposition est souvent contestée par les employeurs au motif de l'absence d'un risque grave. Sur ce point, il est admis que la gravité d'un accident est caractérisée par la mort ou par une incapacité partielle permanente ou temporaire prolongée. Et un risque grave par la probabilité de telles conséquences. Si un ou des accidents, même avec des conséquences mineures, révèlent ce type de risque, les représentants du personnel sont donc fondés à demander du temps supplémentaire. Si l'employeur persiste dans son refus, ils seront fondés à engager une procédure auprès de l'Inspection du travail, puis du tribunal de grande instance, pour entrave au fonctionnement du CHSCT (art. L. 4742-1 du Code du travail).
Recueillir les faits le plus tôt possible
L'enquête doit être réalisée par une délégation comprenant un RP et l'employeur ou un représentant désigné par lui (art. R. 4612-2 du Code du travail). Il est recommandé d'élargir la délégation à toute personne pouvant apporter des éléments de compréhension (collègues, chef d'équipe...). D'autres acteurs - médecin ou inspecteur du travail, agent de prévention de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) - sont aussi susceptibles de participer à l'enquête.
Quand celle-ci doit-elle être effectuée ? Il est primordial de recueillir les faits ayant contribué à la survenue de l'accident le plus tôt possible. Tout d'abord, pour trouver l'environnement physique de l'accident dans un état proche de celui où il a eu lieu. Ensuite, parce que le souvenir des événements est encore fidèle chez les protagonistes de l'accident. Plus l'intervention est tardive, plus la probabilité de récupérer des éléments significatifs est réduite.
Cela suppose donc que l'employeur informe le CHSCT au plus tôt après la survenue d'un accident, afin qu'il puisse organiser son enquête dans les plus brefs délais. Notamment pour les accidents graves. Selon l'article L. 4614-9 du Code du travail, le CHSCT doit recevoir de l'employeur les informations et moyens nécessaires à ses missions. Par " moyens ", il faut entendre le temps mais également les documents, moyens de communication ou de déplacement nécessaires. Le défaut d'information ou un refus de laisser le CHSCT accéder au lieu ou aux documents dont il a besoin seront constitutifs d'un délit d'entrave.
Les questions précédemment évoquées renvoient, pour la plupart, au mode de fonctionnement du CHSCT. Afin d'éviter des négociations permanentes entre l'employeur et les représentants du personnel, il est donc recommandé de définir dans un règlement intérieur les procédures à respecter en cas d'accident. Ce document pourra préciser les points suivants :
- qui doit informer les RP, et ce en toutes circonstances ;
- les moyens utilisés pour informer les RP ;
- les RP à informer selon la localisation de l'accident et/ou la cause principale (explosion, chute...) ;
- les membres du CHSCT participant à l'enquête (RP, direction, médecin du travail...) et les moyens mis à leur disposition, en toutes circonstances ;
- les remplaçants des personnes désignées en cas d'absence.
L'arbre des causes
Voilà pour les conditions de l'enquête. Reste l'enquête elle-même. Comment la mener ? Les accidents sont révélateurs de dysfonctionnements dans les situations de travail. L'enquête doit donc dépasser les explications sommaires, en termes de recherche de responsabilité, pour s'attacher aux seules causes, en vue de définir des actions de prévention. Mais le recueil des informations peut s'avérer délicat. Un accident n'est jamais anodin. Pour la victime, il peut raviver des souvenirs pénibles, laisser craindre une faute professionnelle. Pour d'autres, il peut suggérer une certaine responsabilité - physique ou morale - manifeste ou non. Il faut savoir en tenir compte dans sa façon de présenter son intervention, dans celle de dialoguer et d'écouter les autres.
D'un point de vue plus technique, il existe des méthodes, auxquelles les CHSCT peuvent et doivent se former, dont celle dite " arbre des causes ", promue par l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). L'arbre des causes vise à identifier les différents facteurs dont la combinaison, à un moment précis, a conduit à l'accident. Ce dernier résulte rarement d'un seul fait. Plusieurs événements et facteurs se sont enchaînés et/ou imbriqués les uns aux autres pour produire l'accident. Comme pour un puzzle, il est nécessaire d'assembler les pièces pour reconstituer l'histoire. On remonte ainsi de fait en fait, en posant les questions suivantes :
- qu'a-t-il fallu pour que ce fait se produise ?
- si la ou les causes n'avaient pas eu lieu, le fait se serait-il produit ?
- n'y a-t-il pas eu d'autres causes ?
Cette méthode, en identifiant les éléments constitutifs de l'accident, permet aussi de mieux envisager les mesures de prévention à engager. En cas de risque grave et si l'enquête, complexe, nécessite des compétences non disponibles au sein de l'entreprise, le CHSCT pourra faire appel à un expert agréé (art. L. 4614-12 du Code du travail). Dans les établissements à haut risque industriel, le CHSCT peut également solliciter un expert en risques technologiques (art. L. 4523-5).
Et après ? En cas d'accident ou de risque graves, le CHSCT doit définir les actions à engager (art. L. 4614-10). Actions dont la pertinence pourra être évaluée selon différents critères : conformité à la réglementation, stabilité dans le temps, déplacement possible du risque, nombre de postes concernés, délais d'exécution et coût, à condition que celui-ci ne serve pas de prétexte pour laisser la situation en l'état. Suite à ce travail, le document unique d'évaluation des risques devra être modifié pour intégrer les éléments de l'enquête (risques révélés, mesures de prévention). Le programme annuel de prévention pourra aussi être annoté.
Le CHSCT ne doit pas sous-estimer ses missions et responsabilités en matière d'accidents du travail. Car au bout du compte, ce sont des accidents évités, voire des vies épargnées. Et la qualité de l'enquête permettra d'étayer les démarches des victimes ou de leurs ayants droit pour obtenir réparation.