Comment le CHSCT peut-il peser sur l'élaboration du document unique d'évaluation des risques ? Cette question mérite réflexion. En effet, le Code du travail ne prévoit pas de consultation directe du CHSCT sur ce document. Il est néanmoins possible, à partir des textes législatifs et réglementaires en matière d'évaluation des risques, de construire ce droit à consultation.
Produit d'une directive-cadre européenne (voir encadré page 32), l'obligation pour l'employeur d'évaluer a priori les risques présents dans son entreprise est imposée par l'article L. 4121-3 du nouveau Code du travail. Les contours de cette obligation ont été précisés via un décret du 5 novembre 2001, imposant à l'employeur la réalisation d'un document unique d'évaluation des risques. L'article réglementaire R. 4121-1 stipule ainsi que "l'employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3". Depuis, une circulaire du ministère du Travail, datée du 18 avril 2002, est venue compléter le décret en définissant les conditions de réalisation du document unique.
Demander le document
Le document doit notamment comporter un inventaire des risques, identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de l'établissement. Cet inventaire est censé évoluer. Il ne peut rester figé, ou encore être classé au fond d'un tiroir. L'article R. 4121-2 prévoit ainsi que la mise à jour du document unique d'évaluation des risques est réalisée : "1° Au moins chaque année ; 2° Lors de toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, au sens de l'article L. 4612-8 ;3° Lorsqu'une information supplémentaire intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail est recueillie."
Surtout, l'employeur doit tenir le document unique à la disposition des membres du CHSCT (art. R. 4121-4). La première action du CHSCT consistera donc à demander le document, afin de vérifier la méthode suivie par la direction pour l'élaborer. Comment les unités de travail ont-elles été définies ? Le document a-t-il été élaboré derrière un écran d'ordinateur ou suite à une observation sur les lieux de travail ? Bien entendu, cela ne constitue pas un droit à consultation.
Il faut aller chercher les bases de ce droit dans d'autres articles. Ainsi, selon l'article L. 4612-1, le CHSCT a notamment pour mission de contribuer "à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l'établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure" et "à l'amélioration des conditions de travail, notamment en vue de faciliter l'accès des femmes à tous les emplois et de répondre aux problèmes liés à la maternité". A ce titre, les représentants du personnel au CHSCT doivent procéder à une analyse des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs de l'établissement (art. L. 4612-2). Pour ce faire, ils peuvent procéder à intervalles réguliers à des inspections (art. L. 4612-4). Ils peuvent également réaliser des enquêtes suite à des accidents du travail et à des maladies professionnelles ou à caractère professionnel (art. L. 4612-5).
Cette analyse des risques effectuée par les représentants du personnel doit être prise en compte dans le programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail établi par l'employeur. C'est ce que prévoit l'article R. 4612-8. Dans le même ordre d'idées, lorsque certaines des mesures demandées par le CHSCT dans le cadre de ce programme n'ont pas été prises, l'employeur doit énoncer les motifs de cette inexécution (art. L. 4612-17). Or ce programme est élaboré par l'employeur selon l'évaluation des risques transcrite dans le document unique (article R. 4121-3). Si l'employeur doit tenir compte du travail réalisé par les élus pour élaborer le programme annuel de prévention, il en résulte de facto qu'il doit faire de même pour l'élaboration du document unique.
Une obligation légale issue du droit communautaire
L'évaluation a priori des risques a été introduite en France sous l'influence du droit communautaire. Datée du 12 juin 1989, la directive n° 89/391/CEE a placé l'évaluation des risques professionnels au sommet de la hiérarchie des principes généraux de prévention, dès lors que les risques n'ont pas pu être évités à la source. La loi française du 31 décembre 1991 a permis de transposer, pour l'essentiel, les dispositions que la directive-cadre ajoutait au droit français. Des dispositions que l'on retrouve, depuis la recodification, dans l'article L. 4121-1 du Code du travail (anciennement L. 230-2).
Au regard de l'approche française classique de prévention des risques, la démarche d'évaluation proposée par la directive a été assez novatrice. Certes, l'évaluation des risques n'était pas une nouveauté en droit français. La loi prévoyait jusque-là d'évaluer les sources possibles du danger, sa fréquence, sa gravité... Le changement fondamental se situe au niveau de la responsabilité de l'identification des dangers, qui bascule de l'Etat vers l'employeur. Depuis la loi de 1991, c'est en effet à l'employeur de préciser ce qui est dangereux, les mesures de prévention à prévoir. Il doit mettre en place une méthodologie de prévention en fonction des risques qu'il identifie dans son entreprise. En confiant cette responsabilité aux employeurs, on peut considérer que la loi a également élargi le champ du débat entre ces derniers et les représentants du personnel sur la question des risques professionnels.
Au vu de ces éléments, on peut donc affirmer que le CHSCT dispose d'un droit de consultation et de proposition concernant le document unique. Un droit à consultation dans la mesure où le CHSCT rend un avis sur le rapport et le programme annuels de prévention, lesquels s'appuient, comme on l'a vu, sur le document unique. Ce droit à consultation, le CHSCT peut également le faire valoir à l'occasion d'une "décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, et avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail". En effet, ce type de situation nécessite à la fois une consultation du CHSCT (art. L. 4612-8) et une révision du document unique (art. R. 4121-2). Qui plus est, selon l'article L. 4612-12, le CHSCT doit être consulté sur tout document se rattachant à sa mission.
Faire des contre-propositions
De ce droit à consultation découle un droit à proposition. Selon l'article L. 4612-3, le CHSCT contribue à la promotion de la prévention des risques professionnels dans l'établissement et suscite toute initiative qu'il estime utile dans cette perspective, le refus éventuel de l'employeur devant être motivé. Si, lors de sa consultation sur le rapport et le programme annuels de prévention, le CHSCT propose un ordre de priorité différent ou l'adoption de mesures supplémentaires, cela devrait entraîner des modifications du document unique. Il peut notamment proposer des actions de prévention du harcèlement moral et du harcèlement sexuel. Mais pas seulement.
Les élus du CHSCT peuvent en effet s'appuyer sur les informations contenues dans le document unique pour mener leur propre évaluation des risques et faire des propositions. Cela ne signifie pas qu'ils entérinent la méthode d'évaluation et les résultats présentés par la direction. Au contraire, ils peuvent partir du document unique pour procéder petit à petit à leur propre analyse des risques en fonction de leurs propres choix et priorités. Ce document peut leur servir de livre de bord pour faire des contre-propositions. Un CHSCT peut ainsi décider de cibler une unité de travail, afin d'avoir une vision plus précise du travail effectué par les salariés et vérifier s'il y a correspondance avec les mentions figurant dans le document unique. Les élus peuvent également s'appuyer sur différents documents, tels que le rapport annuel du médecin du travail ou le bilan social.
Associer le comité d'entreprise
L'application pleine et entière de ces droits suppose néanmoins que le CHSCT soit correctement informé, le plus en amont possible, notamment vis-à-vis d'une décision d'aménagement important. Il peut s'appuyer pour cela sur l'article L. 4614-9 du nouveau Code du travail, selon lequel "le CHSCT reçoit de l'employeur les informations qui lui sont nécessaires pour l'exercice de ses missions ainsi que les moyens nécessaires à la préparation et à l'organisation des réunions et aux déplacements imposés par les enquêtes ou inspections". Ce droit à l'information est aussi important que le droit à consultation. Sans l'un ou l'autre, les prérogatives du CHSCT en matière d'évaluation des risques n'ont plus de sens.
Enfin, si le CHSCT est l'acteur principal dans ce domaine, il doit également essayer d'associer le comité d'entreprise à sa démarche. Le CE peut en effet solliciter un rapport du CHSCT avant d'émettre lui-même un avis sur un projet de la direction, dès lors que ce projet concerne les conditions de travail (L. 2323-27). L'employeur transmet également au comité d'entreprise, pour information, l'avis du CHSCT sur le rapport et le programme annuels de prévention et d'amélioration des conditions de travail (art. L. 4612-17). Une approche complémentaire des deux instances permettrait aux représentants du personnel de parfaire leur action et leur argumentaire auprès de la direction.
L'absence d'évaluation peut s'avérer coûteuse
Francis
Meyer
juriste à l'Institut du travail (Strasbourg).
Le respect par les employeurs de l'obligation d'évaluer les risques n'est pas spontané. En effet, les entreprises rechignent à identifier des risques qui, quand ils ont été mal évalués, peuvent mettre en cause leur responsabilité s'ils se réalisent. Il faut pourtant arriver à les convaincre que l'abstention s'avère plus coûteuse que l'évaluation. Il y a bien sûr la violation de l'obligation formelle, sanctionnée par une contravention selon l'article L. 4741-1 du Code du travail, mais cette disposition est peu utilisée et peu dissuasive.
Les conséquences réelles d'une non-évaluation sont plutôt à examiner sur le terrain du droit pénal ou de la faute inexcusable. Si la non-connaissance du risque pouvait constituer une circonstance atténuante pour l'employeur auparavant, elle devient une circonstance aggravante dans le nouveau régime de l'obligation de sécurité de résultat.
Elément à charge. Ainsi, pour les juges, la non-fourniture du document unique d'évaluation des risques est déjà un élément à charge. En effet, comment déterminer si l'employeur a pu ou non avoir conscience du risque, et donc pu commettre ou non une faute pénale, s'il n'a pas pris la peine de se pencher sur les risques en essayant de les évaluer ? Comment un juge du tribunal des affaires de Sécurité sociale, face à un recours en faute inexcusable, pourra-t-il exonérer l'employeur pour absence de conscience du risque s'il ressort du dossier qu'il n'a pas essayé d'en prendre connaissance ? Dans ce type de dossier, l'employeur doit se doter des "moyens de savoir", sous peine de perdre son procès. L'existence des tableaux de maladies professionnelles est un indice. Le contenu du document unique en est un autre.
A ce titre, le juge pénal se tourne de plus en plus vers le document unique pour apprécier l'existence d'une infraction. Comme l'atteste l'arrêt du 15 mai 2007 de la chambre criminelle de la Cour de cassation condamnant la société Citroën suite à un accident du travail. Un salarié avait été gravement blessé à la tête par une cale projetée à travers un atelier. Les juges se sont appuyés sur les 1° et 2° de l'article L. 4121-2, invoquant une mauvaise évaluation du risque pour conclure à la responsabilité pénale de l'entreprise pour blessures involontaires. Cette décision montre bien que l'évaluation des risques est "une mesure ressortissant au pouvoir propre de direction", qui engage la responsabilité personnelle de l'employeur. Un argument de poids pour obtenir de celui-ci une évaluation des risques digne de ce nom.