Préparation des repas, courses en ville, jardin, bric-à-brac, accueil des arrivants... Comme chaque matin, à l'hôpital psychiatrique de Landerneau (Finistère), un patient énumère les tâches et propositions du jour lors du café-accueil et inscrit les volontaires. Ce jour-là, en plus, une partie de l'après-midi sera occupée à la préparation de l'assemblée générale de l'association Treizerien, qui se tiendra dans une commune voisine. Cette association réunit des élus locaux, des soignants, des représentants d'associations et du centre hospitalier et surtout les patients, via les différents clubs thérapeutiques qui maillent le secteur 13 de psychiatrie du Finistère (voir "Repère"). Moment fort de l'année, son assemblée générale sera l'occasion de présenter les bilans d'activité des clubs.
Des patients actifs
"Les clubs forment le pilier de la démarche de participation des patients aux soins", indique Dany Pranchère, psychologue du secteur. Ils permettent aux patients d'être des sujets et non de simples objets de soins. Ce mode de fonctionnement s'inscrit dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle, qui considère que le dispositif dans lequel vit le patient doit offrir de multiples possibilités de transfert à travers la création de lieux variés, assurer sa liberté de circulation et son libre choix.
Avec l'appui des soignants, les clubs gèrent les ateliers du secteur, les cafétérias des lieux d'accueil, les séjours thérapeutiques, ainsi que tout autre projet. Exemple : le club Steredenn Ar Mor de Crozon a acquis en 2008 une voiture solidaire conduite par les patients. L'idée ? Permettre à ceux qui habitent la presqu'île de Crozon de se rendre à des activités et réunions, partir en gîte, aller faire des achats à Brest... Elle a été financée par une subvention de la Caisse d'épargne. "Un projet suit tout un circuit de réunions qui permet de prendre en compte sa possibilité, le peaufiner, argumenter ; les patients peuvent alors être très pertinents", explique Cathy Rolland, cadre infirmier. C'est sur des choses très concrètes, dans la vie quotidienne comme dans la gestion de projets, que s'appuie l'initiative des patients, s'exprime leur parole, se tissent des liens, se crée une ambiance qui prévient la violence.
Cette démarche, construite pas à pas avec l'ex-médecin-chef Marie-Françoise Le Roux, partie à la retraite en 2007, imprègne profondément la façon de travailler au sein du secteur. Le travail se fait en équipe, en cultivant "les petits riens qui font du lien", en responsabilisant tout le monde. "Notre travail, c'est de faciliter le soin, de le rendre possible, rappelle Cathy Rolland. Tout un chacun y participe. Les agents des services hospitaliers (ASH) aussi." Un appui précieux, car "il y a des choses que les patients ne disent pas aux soignants", constate Lætitia Bescond, ASH. Comme ses collègues, elle prend part aux réunions instituées, aux activités, aux journées d'études. Elle s'occupe aussi de l'atelier de décoration florale.
Un personnel investi
Des ASH aux médecins, en passant par les psychologues et les infirmiers, chacun se partage entre plusieurs activités, mais aussi entre plusieurs sites. Une véritable politique de secteur suppose en effet une continuité entre la prévention et le suivi, avec des points d'accueil proches des malades et des interactions entre eux et l'hôpital. De ce fait, les salariés circulent. "Ce n'est pas comme ailleurs, où l'on est cantonné à son atelier, témoigne Eric Bellec, ergothérapeuthe. En plus, j'anime des activités à Crozon, je vais en séjour thérapeutique, je participe à la vie du service, à des entretiens médicaux, à des visites à domicile... Il y a une polyvalence que l'on peut se créer ici. C'est un poste intéressant."
La démarche impose néanmoins une participation de tous les instants. "Tout est toujours à retricoter, retravailler", souligne Dany Pranchère. "Il faut tout le temps de la réflexion sur ce qu'on fait, comment on le fait, une écoute à tous les niveaux", relève Eric Bellec. D'où l'importance attachée aux réunions de soignants, de secteur, entre soignants et soignés. "C'est toujours une réflexion sur ce qui se passe dans le travail, sur nos pratiques", précise Michel Couill, infirmier. "C'est plus satisfaisant que de distribuer des médicaments dans une salle de soins, mais c'est exigeant pour le personnel. Il faut avoir du désir, s'engager, considère Cathy Berthou, infirmière "jardinière" et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Je me demande comment transmettre ce qu'on a mis en place aux nouvelles générations, qui n'ont plus de formation spécifique en psychiatrie. On est parti de loin dans les années 1970, j'ai peur que les grilles de l'asile ne reviennent alors qu'on les avait enlevées." Pour Eric Bellec, qui a débuté sa vie professionnelle il y a huit ans, "la souplesse du fonctionnement repose sur cet investissement de chacun. Il y a des gens qui ont été habitués à un service fermé, carré, très hiérarchisé et qui ont du mal à s'adapter"
repère
Le secteur 13 de psychiatrie du Finistère comprend une unité d'hospitalisation complète (51 lits), un hôpital de jour, un centre médico-psychologique (CMP) et un centre d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) à Landerneau, un CMP et un CATTP à Crozon et Pont-de-Buis, auxquels il faut ajouter des appartements thérapeutiques.
Exigeante pour le personnel, la démarche l'est aussi pour l'organisation. Après la lame de fond des 35 heures, les départs à la retraite ont contribué à tendre les plannings. Avec près de 12 % de main-d'oeuvre renouvelée en 2008 et dix postes d'infirmiers vacants à l'automne, la fin d'année a été difficile. Mais les renforts obtenus ont ramené un peu de sérénité, et un groupe s'est attelé à penser une nouvelle organisation. "Elle est certes moins souple qu'avant, avec des équipes référentes mieux identifiées et un roulement plus stable pour celles de l'hospitalisation complète. Mais elle respecte la circulation entre les sites et les activités, favorable à la continuité avec les patients, et présente davantage d'équité", analyse Sylvie Kerriou, cadre de santé.
Satisfaction
"Il faut rappeler que ça ne va pas de soi de travailler en psychiatrie, note Grégory Mengant, infirmier. Les formations, journées d'études, recherches avec notamment l'association culturelle, sorte de club des soignants, nous aident." De fait, les salariés du secteur tiennent bon : l'absentéisme - 7,4 % en 2008, 6,9 % en 2007 - y est inférieur à celui de l'ensemble des services hospitaliers de la localité. "D'une façon générale, ils se plaignent peu et sont plutôt épanouis dans leur travail. Il n'y a pas cette frustration dans la relation humaine que l'on perçoit dans les maisons de retraite, par exemple", observe Anne Le Menn, médecin du travail. "Rien à voir non plus avec les services psychiatriques de type carcéral, déclare Lise Gaignard, psychanalyste et psychologue du travail. Ici, on n'a pas honte le soir de ce qu'on a fait, le travail est satisfaisant au plan éthique." Quant à "l'efficacité" de la structure, "le secteur étant réellement appliqué, les situations de crise sont anticipées : le taux d'hospitalisations sous contrainte est de loin le plus faible du département", signale Gérard Ollivier, directeur du centre hospitalier. Et son budget rapporté à la population se situe "dans le bas de la fourchette régionale", se félicite Jean-Michel de Chaisemartin, l'actuel médecin-chef du secteur.