Face aux mutations annoncées du marché du travail et des modes de production, en lien avec l'essor des nouvelles technologies et de l'automatisation, comment doit évoluer, selon vous, la représentation des salariés ?
Jean-Marie Pernot : Il est difficile d'isoler ces évolutions technologiques, car elles entrent en résonance avec d'autres facteurs venant impacter le jeu traditionnel du dialogue social et la place de ses acteurs. La financiarisation des entreprises, le poids croissant des multinationales qui mettent en concurrence les sites de production, l'externalisation et la diversité des statuts d'emploi, tout cela perturbe également le travail syndical. La volonté politique de décentraliser la négociation collective au sein des entreprises amène à se poser une question : qu'est l'entreprise aujourd'hui et que sera-t-elle demain ? A cause des facteurs cités précédemment, ses frontières sont pour le moins floues : elle est à la fois diluée dans l'espace géographique et dans la chaîne de valeur
; elle ne représente plus qu'une petite partie des employés sur un site où interviennent des CDD, des intérimaires, des prestataires, etc. C'est un enjeu crucial pour les syndicats, qui doivent revoir leur mode d'intervention et leurs revendications pour mieux représenter les travailleurs en les incluant dans une démarche qui les concerne tous.
Quelles sont leurs marges de manoeuvre ?
J.-M. P. : Les syndicats se sont constitués sur la base des métiers, qui reflètent l'identité collective des salariés. Leur organisation actuelle, reposant sur les branches professionnelles et ancrée sur l'entreprise, est de moins en moins adaptée. Ils ont toutefois conscience de la nécessité de sortir de leur routine. C'est aussi un problème politique : avec quel type de projet collectif est-il possible de rassembler des travailleurs aux statuts différents, et ce, alors qu'il y a de moins en moins d'unité de lieu et d'action ? Ce n'est pas impossible en soi : le secteur des aides à domicile est en partie organisé, alors qu'elles ne bénéficient pas d'un lieu de travail commun. Là, un syndicalisme de service a pu aider la structuration. Les technologies de la communication offrent aussi un potentiel pour recréer des collectifs de travail réel, au-delà de l'éclatement géographique. La question de l'externalisation pourrait être au coeur de la réflexion syndicale : le rapport donneur d'ordres/sous-traitants est si déséquilibré que les acquis obtenus pour les salariés du premier se répercutent souvent défavorablement sur ceux des prestataires. La négociation collective devrait davantage prendre en compte les conditions de travail sur l'ensemble de la chaîne de valeur.
Dans un futur monde du travail automatisé et individualisé, quelles revendications pourraient faire cause commune ?
J.-M. P. : L'emprise du gestionnaire et de la robotisation sur le travail peut ouvrir un champ de revendications pertinent sur le "bien-travailler", qui transcende les cassures géographiques et statutaires, même s'il a sans doute ses limites en termes d'intérêts communs. La question de la réduction du temps de travail, aujourd'hui taboue, pourrait revenir en force. Il est encore malaisé de quantifier les emplois supprimés par l'automatisation, mais le mouvement est inéluctable. Les syndicats ont tout intérêt à s'emparer de cette question afin que les gains induits par la robotisation ne retombent pas dans l'escarcelle des seuls actionnaires, mais profitent aussi aux travailleurs pressurisés. Par exemple, en libérant du temps pour améliorer les conditions de travail...