Ce n’est sans doute pas l’exemple le plus répandu : des salariés d’une usine de métallurgie ont estimé « se sentir plus en sécurité à l’intérieur de l’entreprise qu’au supermarché ». Dans cette structure, le CSE a été la pierre angulaire des dispositions mises en place pour maintenir une activité pendant le confinement, tout en garantissant la prévention des risques. Seuls les volontaires sont venus travailler, et ce volontariat a été un atout pour que les mesures de protection, ajustées à chacun des postes parce qu’étudiées sur place par les élus, soient observées. Le dialogue s’est poursuivi pendant toute la durée du confinement, représentants du personnel et direction ayant reconnu la nécessité de faire le point régulièrement, tous les deux jours, sur les situations de travail et les données sanitaires. Après un débat, la question d’une rémunération supplémentaire pour les volontaires qui ont continué à travailler a été tranchée, suivant l’avis majoritaire des organisations syndicales.
Si des entreprises ont misé sur le dialogue social en mettant à plat, au sein du CSE, les éléments de l’équation chômage partiel, santé des salariés et enjeux économiques, d’autres n’ont pas changé de logiciel. Comme dans cette PME, où les élus n’ont été informés et consultés qu’une seule fois pendant le confinement. Avec leur contribution, il aurait pourtant été possible de maintenir un minimum d’activité, en laissant des salariés venir travailler dans certaines conditions : pour combler des retards, prendre un peu d’avance en matière d’innovation, peaufiner des process inaboutis… Du point de vue du secrétaire du CSE, « c’était ce qu’il aurait fallu faire pour se donner toutes les chances d’un rebond en sortie de crise ».
S’appuyer sur l’expertise des salariés
Il faut dire qu’après la loi travail de 2017, élargissant les champs de la négociation en entreprise et fusionnant les instances, les employeurs n’ont pas vraiment saisi l’opportunité de faire du dialogue social un levier pour mieux fonctionner au quotidien. Tandis que les élus, amputés d’une partie de leurs moyens, témoignaient d’une réduction de leurs marges de manœuvre. La situation inédite des derniers mois pourrait donc avoir rebattu les cartes à certains endroits, permettant aux salariés et à leurs représentants d’être pleinement associés, dans l’urgence, à des réorganisations les concernant et à leur adaptation quotidienne. Celles-ci se sont souvent appuyées sur l’autonomie et l’expertise des salariés présents, ainsi que sur celle des élus, laissant la ligne hiérarchique à distance ou dans l’obligation de faire confiance, et ce en situation de télétravail comme de travail sur site.
Le déploiement massif du télétravail a d’ailleurs été un sujet récurrent à l’agenda des CSE et des commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT)… lorsque leurs réunions ont eu lieu. Là encore, les discussions ont permis de réfléchir à des mesures d’accompagnement spécifiques : mise à disposition d’outils informatiques, formation à leur utilisation, développement des compétences sur le management à distance pour les responsables d’équipe. Des facteurs qui ont pu rendre le télétravail « tenable ».
A l’inverse, lorsque les directions n’ont pas eu la volonté de convoquer leurs instances, les salariés se sont retrouvés isolés dans leur bureau à la maison, comme en témoigne cet élu d’une entreprise informatique : « Aucune réunion des équipes en télétravail n’était organisée pendant le confinement et il n’a pas été possible d’avoir une séance du CSE pour évoquer ce problème. » Faute de dialogue, le manque d’équipement adéquat a perduré, un phénomène qui a particulièrement touché les agents de la fonction publique. « J’ai été obligée d’utiliser mon ordinateur personnel qui n’avait pas les bonnes configurations », raconte une employée d’une agence régionale de santé. La difficulté de certaines situations a sans doute été accentuée par le manque de contacts entre les télétravailleurs et leurs représentants, à cause de la distance. C’est un point de vigilance, car des employeurs en ont profité pour proposer des ruptures conventionnelles à un nombre significatif de salariés.
Des consignes de protection adaptées aux postes occupés
A partir du 11 mai, la reprise d’activité aurait également pu être un temps fort pour le dialogue social. Mais si les mesures sanitaires, organisationnelles, économiques à mettre en œuvre ont fait l’objet de fructueux échanges dans certaines entreprises, le retour au travail des salariés n’a été appréhendé, dans d’autres, que sous l’angle juridique, comme un passage obligé.
Là où le dialogue social s’en est mêlé, la reprise s’est faite progressivement, en élargissant peu à peu le périmètre de salariés présents dans les locaux et en mettant en place des protections certes contraignantes mais adaptées aux divers postes occupés. Dans une industrie, les négociations en CSE ont ainsi conduit à une diminution de la durée du travail (sans baisse des rémunérations) : les équipes, initialement en 3 X 8, ont fonctionné en 3 X 6. Elles ont pu, dès lors, ne pas se croiser dans les vestiaires et, la restauration collective demeurant fermée, sortir pour manger à l’extérieur. Certains CSE se sont réunis par visioconférence toutes les semaines pour discuter des problèmes observés sur le terrain dans le déploiement des mesures de prévention, et notamment l’inadéquation entre les consignes et le réel du travail. L’analyse de ces dysfonctionnements a donné lieu à des réajustements et des régulations, permettant aux salariés d’accomplir leurs tâches avec les contraintes sanitaires. Force est de constater que ce dialogue a été efficace partout où il a été la colonne vertébrale de la réorganisation. Il a été un facteur clé pour réduire les tensions, donner du sens au travail et susciter la confiance des travailleurs dans les choix opérés, parce que ceux-ci étaient débattus.
Négocier l’effort productif
L’organisation était jusqu’à présent la chasse gardée des directions. A la faveur de la crise, elle est devenue dans beaucoup d’entreprises un enjeu de dialogue social pour redéfinir ce qui concourt à la performance économique et au maintien de la santé des salariés, pour concilier production et prévention des risques. Espérons qu’il n’y aura pas de retour en arrière ; la désillusion serait grande. Car les CSE concernés expriment une forte attente : « On a été impliqués dans l’organisation du travail, on aimerait le rester après cette crise. » Notamment pour mettre en lien les questions d’orientations stratégiques avec celles de l’organisation. Or, maintenant que la reprise des activités entre dans son rythme de croisière, le contexte tend à changer. Les entreprises, qui n’ont de cesse de rattraper leur retard de production, entendent désormais demander des efforts supplémentaires aux salariés.
Des tensions, voire des conflits, ont vu le jour dans celles qui n’avaient pas joué le jeu de la négociation et donné aux représentants la place qui leur revient dans des décisions fondamentales sur les horaires et la durée du travail, les congés, le télétravail, la rémunération, etc. Une reconnaissance des efforts consentis pendant la crise par les salariés – prise de risque pour la santé, disponibilité en heures supplémentaires, fatigue extrême, polyvalence – est légitime ; ses critères doivent être négociés avec les organisations syndicales plutôt qu’imposés unilatéralement par l’employeur.
Dans les deux phases qu’ont été la mise en sommeil du travail et le réveil de l’activité, la confiance est apparue comme un élément essentiel, qu’il s’agisse de celle ressentie par les salariés vis-à-vis des mesures mises en place pour les protéger, de celle placée dans leurs élus, mais aussi de celle, réciproque, établie entre la direction et les représentants du personnel. Cette confiance n’est possible que si les décisions sur l’organisation, les pratiques de management, la vision stratégique ou encore la prévention font l’objet d’échanges, y compris contradictoires, entre les parties. Les entreprises qui l’ont compris sortent renforcées de cette crise.