Pourquoi selon vous est-il si important d’écouter les travailleurs ?
Vincent Baud : Les écouter est une condition substantielle d'accès à leur santé au travail, car on ne peut sinon atteindre les dimensions subjectives de leurs situations de travail et de leur santé. Or, la santé au travail aujourd’hui, c'est le paradis des diagnostics et le cimetière des plans d'action. Les entreprises ont adopté des démarches sécurité qui ne regardent bien souvent que les seuls accidents du travail et maladies professionnelles. On dit aux personnes ce qu’elles doivent faire – porter des équipements et respecter des procédures –, mais il n’est pas possible, sans les écouter, de recenser et comprendre ce qui peut dégrader leurs conditions réelles de travail. Les entreprises passent ainsi à côté de leur responsabilité : protéger la santé physique et mentale de leurs salariés. Et quand on leur parle d’écoute, beaucoup d’entre elles pensent que les travailleurs ne vont que remonter des problèmes. Comme s’il s’agissait d’ouvrir une boîte de Pandore. Elles oublient qu’ils ont en réalité beaucoup de solutions à apporter. Voilà pourquoi j'ai proposé d'inscrire dans la loi l'écoute des travailleurs comme dixième principe général de prévention. J’ai lancé une pétition, écrit un ouvrage sur la qualité de vie au travail pour porter cette proposition. Celle-ci a été reprise dans le rapport des Assises du travail ainsi que dans une résolution du Comité économique, social et environnemental (Cese).
Vous proposez que cette écoute soit en tête de la hiérarchie des principes de prévention. Pour quelle raison ?
V. B. : Ce dixième principe devrait être le premier dans la liste car il va irriguer tous les autres. Les principes généraux de prévention ne sont pas cloisonnés, ils se nourrissent mutuellement dans les orientations qu’ils donnent. Or, aujourd’hui, on peut éviter les risques, les évaluer... sans jamais écouter les salariés. C’est d’ailleurs le plus souvent ce qui se fait ! Tout travailleur doit pouvoir s'exprimer sur ce qui, spécifiquement dans sa situation de travail, peut porter atteinte à sa santé physique et mentale, afin de chercher avec lui les réponses qui vont lui permettre de mieux faire et vivre son travail. Une démarche en santé au travail doit être constituée de deux piliers : un qui exige ce qui ne se négocie pas, comme l’interdiction des discriminations, et l’autre qui repose sur l’écoute de ce que les travailleurs ont à dire pour améliorer leur situation, concernant leur environnement technique, l’organisation du travail, y compris leur charge de travail, leurs relations au travail et enfin leur projection dans l’emploi.
Recueillir la parole des travailleurs est-il suffisant ?
V. B. : Le problème majeur des entreprises n’est pas tant l’écoute que la réponse à cette expression sur le travail. Des groupes d’expression, baromètres ou diagnostics existent, mais les salariés n'en peuvent plus de remonter des problèmes qui ne sont pas résolus. L’absence de réponse crée du silence. La réponse aux remontées de terrain doit se faire dans chaque unité de travail, avec les travailleurs concernés. Portée par les managers, cette démarche participative nécessite d’être pilotée et évaluée par un comité pluridisciplinaire où l’implication des élus du personnel conditionnera sa réussite.