« La disparition du CHSCT ne faisait pas partie des hypothèses de départ, rappelle Frédéric Géa, professeur de droit privé à Nancy et auteur de publications de référence sur les accords issus des ordonnances de 2017, quand il évoque le processus d’élaboration de ces textes réformant le droit du travail. Pendant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait annoncé une fusion des instances représentatives du personnel (IRP), mais en laissant la possibilité aux entreprises, par la voie d’un accord majoritaire, de maintenir les instances existantes. » Lors de la rédaction du projet de loi, cette modalité a disparu : « Les rédacteurs ont estimé que cela rendrait le système trop complexe. » Le CHSCT a donc été sacrifié sur l’autel de la lisibilité. « L’ambition d’avoir un point de vue plus global sur l’ensemble des sujets a prévalu. Mais cela a été fait sans la moindre étude prospective », regrette Frédéric Géa.
Négociations limitées
Sept ans plus tard, on peut dire que les Commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) se sont en parties dissoutes dans les comités sociaux et économiques (CSE). Notamment dans les petites et moyennes entreprises (PME) : alors que le CHSCT était obligatoire dans les entreprises d’au moins 50 salariés, la CSSCT ne l’est plus que dans les entreprises et établissements d’au moins 300 salariés. Elle peut être mise en place par accord d’entreprise majoritaire ou, en l’absence de délégué syndical, par accord entre l’employeur et le CSE, adopté à la majorité des membres titulaires élus de la délégation du personnel du comité.
En réalité, « les négociations ont été très limitées, observe Frédéric Géa. Quand il y en a eu, elles ont dans l’ensemble abouti à des accords collectifs majoritaires. Les accords conclus avec la majorité des membres titulaires du CSE ne sont que résiduels. » La plupart des accords qui ont pu être étudiés lors des vagues d’enquêtes publiées en 2020
, 2021
et 2024
ont mis en place une CSCCT unique. Les organisations décentralisées, avec différentes commissions d’établissement par exemple, sont rares. « C’est un signe parmi d’autres que la création du CSE en tant qu’instance unique a eu tendance à centraliser le dialogue social et à l’éloigner du terrain », observe Frédéric Géa.
Des accords a minima
Le juriste constate de surcroît un manque de liens entre les différentes instances du CSE : « Il est assez rare que la négociation ait permis un système élaboré, avec des liens entre les différentes ramifications de l’instance représentative, notamment les représentants de proximité », note-t-il. Les accords de mise en place des CSSCT s’en tiennent bien souvent aux exigences légales d’ordre public.
C’est le cas s’agissant de la composition et des attributions des commissions : la plupart des accords limitent la composition de la CSSCT à trois membres et se contentent de lui confier, par délégation du CSE, tout ou partie de ses attributions en matière de santé, sécurité et conditions de travail. Leur temps de formation et de délégation est, là encore, calé sur les dispositions d’ordre public. « Tout juste a-t-on vu quelques entreprises aller au-delà des exigences légales en imposant des règles de parité ou en affirmant une volonté d’associer les délégués syndicaux centraux aux représentants de proximité », observe Frédéric Géa, en précisant aussitôt que de telles dispositions restent rares.
On aurait pu penser que le manque d’ambition observé durant les deux années suivant la mise en œuvre des ordonnances Travail n’était que transitoire, les entreprises se contentant dans un premier temps de coller aux dispositions d’ordre public avant d’envisager, lors du renouvellement du CSE, d’aller plus loin en engageant des mesures supplétives. « Cette hypothèse est démentie par les faits », constate Frédéric Géa.
Renforcer les dispositions supplétives
D'après lui, les dispositions légales, « plutôt bien conçues en ce qui concerne le CSE et les négociations dont celui-ci peut faire l’objet », sont moins abouties dans le cas de la CSSCT. « L’ambition initiale était de rendre l’instance de représentation du personnel configurable », rappelle-t-il. Mais les textes légaux ne sont pas parvenus à susciter un intérêt commun à négocier, explique Aurélie Rouyer dans sa thèse soutenue en mars 2024 et consacrée à « la représentation des travailleurs, un modèle en recomposition ». La juriste considère que la fusion des IRP en une instance unique a, certes, permis de rationaliser cette organisation, mais elle s’est aussi traduite par une moins bonne prise en compte des questions de santé et sécurité au travail, qui apparaissent comme les grandes perdantes des ordonnances Travail.
Les bilans de la négociation d’entreprise établis chaque année par la direction de l’Animation, de la Recherche et des Etudes statistiques du ministère du Travail (Dares) en témoignent : en 2022
, sur les 88 570 accords recensés, 44,2 % ont porté sur la participation, l’intéressement et l’épargne salariale, 22,4 % sur les salaires et primes… et seulement 6,7 % sur les conditions de travail. En cette année d’inflation record, le dialogue social s’est focalisé sur la question des rémunérations, reléguant tous les autres sujets aux oubliettes.
Ce qui amène Aurélie Rouyer à appeler à une évolution des textes, avec un renforcement des dispositions légales relatives aux CSSCT. Leur contenu reste trop évasif, l’article L. 2315-44 du Code du travail se contentant, à défaut d’accord, de renvoyer au règlement intérieur du CSE. « On ne peut pas dire que cela incite vraiment à négocier », remarque Frédéric Géa, convaincu lui aussi que les textes mériteraient d’être revisités. Une réforme dans ce sens était annoncée… avant que la dissolution de l’Assemblée nationale, en juin dernier, ne vienne rebattre les cartes. Faute de réelle majorité, il est difficile de prédire si les évolutions envisagées verront le jour…
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Repère : hiérarchie des normes
En matière de dialogue social, la loi Travail de 2016 et les ordonnances de 2017 ont consacré la primauté de l’accord collectif majoritaire, bousculant la hiérarchie traditionnelle des normes :
- les dispositions d’ordre public fixent un niveau minimal de garanties pour les salariés. Mais les entreprises peuvent y déroger par accord majoritaire, uniquement dans un sens plus favorable ;
- les dispositions conventionnelles fixent des minimas de branche professionnelle auxquels, là encore, une entreprise peut déroger par accord majoritaire ;
- les dispositions supplétives du Code du travail s’appliquent en absence d’accord d’entreprise.