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Rendez-nous un CHSCT

par Sabine Dreyfus Rédactrice en chef / 25 septembre 2024

En cette fin d’été post-olympique, la santé et la sécurité au travail vont-elles parvenir à se hisser de nouveau sur le podium ?
Certes, elles n’ont jamais fait vraiment fait la course en tête parmi les préoccupations des entreprises et des pouvoirs publics, mais, elles avaient, bon an mal an, réussi à rester sur le terrain, portées par le CHSCT et son rôle de contre-pouvoir face à des organisations managériales agressives ou des conditions de travail dangereuses. 
En fusionnant au sein d’un comité social et économique (CSE) unique les trois instances représentatives du personnel (IRP), les ordonnances Macron de 2017, sous couvert de simplifier le dialogue social, ont fait de la santé et de la sécurité « les grandes perdantes » de cette réforme, selon les termes de nombre d’observateurs.
Avec la disparition du CHSCT, les représentants du personnel n’ont pas seulement perdu les heures de délégation qu’ils pouvaient exclusivement consacrer à la défense des conditions de travail. Ils ont aussi vu se concentrer sur un petit nombre d’entre eux une masse de sujets tous plus importants les uns que les autres, de la situation économique de leur entreprise à la politique de rémunération en passant par la formation ou les activités sociales et culturelles, amoindrissant mécaniquement leur capacité à veiller au respect de l’obligation de sécurité de l’employeur, voire les coupant littéralement de leur proximité avec le terrain du travail.  
Ce mouvement emblématique de la dégradation des relations sociales organisée au nom de la rationalisation suscite le découragement militant et porte en lui les germes d’une crise durable de la représentation des salariés. Pourtant, à l’heure où le « faire plus avec moins » tend à devenir la norme, où les mauvaises conditions de travail sont responsables de deux décès accidentels par jour, il est urgent que les sujets de santé et de sécurité retrouvent une place de choix dans le dialogue social au cœur des entreprises.
Réclamé par la plupart des organisations syndicales, et inscrit au programme du Nouveau Front populaire, le rétablissement d’une instance dédiée à la santé au travail n’apparaissait pas totalement incongru après les élections du 7 juillet. Mais depuis le 5 septembre et la nomination du nouveau Premier ministre, il est peu probable que l’exécutif soit enclin à ranimer la flamme.

 

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« Nous avons besoin d’une instance dédiée à la protection de la santé au travail »

entretien avec Pierre-Yves Verkindt professeur émérite de droit social à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur du rapport « Les CHSCT au milieu du gué »
par François Desriaux / 25 septembre 2024

En 2014, le rapport de Pierre-Yves Verkindt sur les CHSCT a été accueilli fraîchement par ceux qui voulaient déjà la fusion des instances et ceux qui préféraient un statu quo. Il proposait de réunir, par accord, les délégués du personnel et le CHSCT. Dix ans plus tard, l’échec du CSE sur la santé au travail lui donne raison. Interview pour clore notre dossier « Rendez-nous un CHSCT ! »

A la demande du ministre du Travail de l’époque, vous avez rédigé en 2014 un rapport sur l’avenir du CHSCT. Trois ans après, les ordonnances Travail supprimaient cette instance en fusionnant les trois institutions représentatives du personnel (délégués du personnel, comité d’entreprise, CHSCT) dans le comité social et économique (CSE). Quel regard portez-vous sur les conséquences de cette fusion sur la capacité de prise en charge des questions de santé, sécurité, conditions de travail, par les représentants des travailleurs ?
Pierre-Yves Verkindt : Je continue de penser que nous avons besoin d’une institution représentative du personnel dédiée à la protection de la santé des travailleurs ainsi qu’aux conditions de travail. La suppression du CHSCT en 2017 a été, à mon sens, une grave erreur dont nous payons les conséquences. La conclusion de mon rapport était sans ambiguïté sur ce point, même si je proposais quelques pistes d’amélioration de l’institution pour tenir compte des changements intervenus depuis la création du CHSCT en 1982, tant sur le plan des risques professionnels que sur celui du droit du travail. Il me semblait que l’institution était parvenue à une certaine maturité justifiant qu’on en réexamine le fonctionnement. Mais je n’étais pas dans l’air du temps : pour plusieurs acteurs sociaux et politiques, le CHSCT, bête noire de certains employeurs, devait disparaître ; pour d’autres, il ne fallait rien changer. Les deux options ont bien collaboré dans la critique du rapport pour aboutir au résultat que vous signalez : la disparition de l’institution. Car en fait de fusion des instances, c’est bien à la disparition pure et simple du CHSCT que l’on a assisté, la commission santé, sécurité, et conditions de travail (CSSCT) n’étant même pas un ersatz.

Les ordonnances Travail prévoyaient aussi la possibilité d’une extension du domaine de la négociation collective sur les moyens et le fonctionnement du CSE. Est-ce que la mayonnaise a pris ?
P.-Y. V. : Dans mon rapport, je proposais de laisser une place à la négociation collective en matière de fonctionnement de l’instance. Car je pensais, et je pense toujours, que l’acculturation des impératifs de santé au travail dans l’entreprise nécessitait un dialogue entre les partenaires sociaux sur la manière dont on devait s’y prendre pour travailler ensemble, améliorer les conditions de travail et la prévention. Pour autant, j’avais eu l’occasion d’insister sur le fait que si les modalités de fonctionnement appartenaient au champ du négociable, la santé au travail, elle ne l’était pas. Je regrette rétrospectivement que certains aient fait semblant de ne pas le comprendre. Force est de constater que les négociations sur les moyens et le fonctionnement n’ont débouché sur aucune dynamique sociale, les entreprises choisissant majoritairement de s’en tenir au minimum légal, quitte à appauvrir la prise en charge des questions de santé et conditions de travail.

Une préconisation phare parmi les 33 mesures que vous avez proposées consistait à fusionner deux instances, le CHSCT et les délégués du personnel (DP). Les ordonnances ont juste été un peu plus loin… N’avez-vous pas ouvert la voie, finalement ?
P.-Y. V. : Non. Ni la promotion de la négociation collective, ni la volonté politique de fusionner les instances de représentation du personnel n’ont attendu le rapport pour se mettre en place. Il y avait un accord tacite entre certains syndicats et le gouvernement de l’époque pour avancer dans ces deux voies, qui ont ensuite convergé en 2017. Compte tenu du recouvrement des compétences des DP et du CHSCT, j’ai effectivement proposé que les acteurs sociaux de l’entreprise puissent envisager conventionnellement, et donc en fonction des caractéristiques et des risques de l’entreprise, une fusion DP/CHSCT. Je sentais bien que d’aucuns poussaient en ce sens mais je me disais que le principe de la fusion de ces deux instances devait être décidé et organisé d’un commun accord. La solution ultérieurement adoptée fut tout autre puisque le principe de la fusion a été décidé autoritairement, laissant à la négociation la possibilité de s’emparer uniquement des modalités. L’ordonnance a même interdit de choisir l’option du maintien du CHSCT. Totalement à rebours de ce que je proposais. Il est dommage que certaines critiques du rapport aient paru ne pas comprendre qu’il y avait là une opportunité de garder la main et, finalement, de donner davantage de moyens humains et de poids politique au CHSCT. En définitive, ce refus a ouvert la voie à la fusion et à la disparition d’une instance qui jouait un rôle majeur.

Aujourd’hui, compte tenu du bilan peu reluisant des ordonnances et de l’état des conditions de travail et de la sécurité, faut-il remettre le CHSCT, ou une instance dédiée à la SSCT, et pourquoi ? Est-il nécessaire d’augmenter les prérogatives de cette instance, par exemple un pouvoir de s’opposer à des transformations de l’organisation du travail ou à des méthodes de management susceptibles de générer des risques graves, ou encore un pouvoir d’alerte avec une procédure ?
P.-Y. V. : La dégradation des conditions de travail montre que nous avons besoin d’une instance élue spécialement dédiée à la protection de la santé au travail. On a pu croire un temps que la fusion permettrait de faire remonter au plus haut niveau de décision (ce qui justifiait la compétence du CSE) les questions de conditions de travail et de santé. Mais l’expérience contredit cette idée : poids des questions économiques, réunions à rallonge du CSE, surcharge de travail des élus dont le nombre a été réduit, etc. Et si je pense qu’il faut renforcer le pouvoir de cette instance, il faut surtout l’autonomiser par rapport au CSE. Je crois qu’il faut lui donner le pouvoir de bloquer un management délétère.

Faut-il revenir sur la hiérarchie des normes et sur le triptyque « dispositions d’ordre public, dispositions conventionnelles, dispositions supplétives » ?
P.-Y. V. : Je n’ai pas d’a priori contre cette façon d’organiser les textes. J’estime qu’il existe des domaines pour lesquels le triptyque est pertinent, lorsque l’on vient sur le terrain de ce que je considère comme celui du négociable (par exemple sur l’organisation de la négociation collective elle-même). En revanche, je pense que, contrairement à ce que veut nous faire croire une certaine doxa libérale, tout n’est pas négociable. En particulier, ce qui touche à la santé et au respect des conditions humaines du travail a besoin de règles impératives, portées par des pouvoirs publics qui effectuent leur travail d’élaboration des normes, de contrôle et de sanction.

L'intégralité de notre dossier n°126 à télécharger
 

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