Le CHSCT, nouvelle bête noire des employeurs"
, "L'heure de gloire du CHSCT ?"
, "Les CHSCT montrent les dents"
Ces dernières années, les titres des articles de presse consacrés au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) témoignent d'une montée en puissance de cette instance dans les entreprises. Cette évolution, impulsée par les décisions de juges et les travaux de chercheurs en droit, s'inscrit dans un renforcement plus global du droit de la santé au travail. Dans la pratique, comment les CHSCT peuvent-ils tirer parti de ces évolutions pour renforcer leur action et faire en sorte que la santé des salariés soit préservée ? Quelles stratégies peuvent-ils adopter ?
Une instance incontournable
Le CHSCT est chargé de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs et doit, à ce titre, être consulté par l'employeur sur les questions qui relèvent de sa compétence, en particulier avant "toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail..." (art. L. 4612-8 du Code du travail). Sa compétence a été récemment élargie, par la loi de novembre 2010 sur les retraites, à l'"analyse de l'exposition à des facteurs de pénibilité" (art. L. 4612-2 du Code du travail). Pour autant, pendant de nombreuses années, le CHSCT, lorsqu'il existait, n'était généralement pas consulté. L'employeur, estimant agir dans le cadre de son pouvoir de direction, se limitait à donner quelques éléments lors des réunions trimestrielles obligatoires. Mais c'était sans compter sur l'action des juges, qui n'ont pas souhaité laisser l'employeur seul maître à bord : les questions d'organisation du travail en lien avec la santé, la sécurité ou les conditions de travail sont l'affaire de tous, et en particulier du CHSCT, quel que soit l'effectif concerné (voir "Repères").
Repères
Plusieurs décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation ont renforcé ces dernières années les prérogatives du CHSCT, notamment en matière de consultation et de recours à l'expertise. Il est possible de les retrouver sur www.legifrance.fr, dans la jurisprudence judiciaire, avec les références suivantes :
- Cass. soc., 23 janvier 2002, pourvoi n° 99-21498 ; - Cass. soc., 11 février 2004, pourvoi n° 02-10682 ;
- Cass. soc., 28 novembre 2007, pourvoi n° 06-21964 ; - Cass. soc., 4 juillet 2012, pourvoi n° 11-19678.
A noter également la décision du tribunal de grande instance de Paris, le 5 juillet 2001, d'annuler un projet d'externalisation sur le site Areva de La Hague, suite à des avis négatifs du CE et du CHSCT.
Rares sont les projets qui échappent aujourd'hui à la consultation du CHSCT : installation d'un service important dans de nouveaux locaux plus vastes et mieux aménagés, mise en place d'un système de contrôle du temps de travail, modification d'horaires, plan de sauvegarde de l'emploi comportant des réductions d'effectifs et une réorganisation des modes de production et de travail, décision de mettre en place des entretiens annuels d'évaluation... Dans ce dernier cas, le juge a estimé que, par leur finalité, ces entretiens étaient de nature à exercer une pression psychologique sur les salariés, avec des répercussions sur les conditions de travail. Gageons qu'avec la montée en puissance des risques psychosociaux dans les entreprises, le CHSCT sera de plus en plus consulté.
Néanmoins, cette consultation n'a de sens que si le comité peut rendre un avis éclairé. A cette fin, le Code du travail lui accorde aussi le droit de recourir, aux frais de l'employeur, à une expertise "en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail" (art. L. 4614-12 du Code du travail). Là encore, le juge interprète très largement cette notion. Le recours à cet expert est une décision collégiale des représentants du personnel au CHSCT, quelle que soit la qualité des mesures préventives prises par l'employeur et même s'il existe, dans l'entreprise, des services spécialisés qui pourraient renseigner le comité ! Le CHSCT est donc devenu, avec le soutien des juges, un acteur incontournable. L'employeur qui continuerait à l'écarter prend le risque de voir les représentants du personnel solliciter auprès du tribunal de grande instance la suspension de la mise en oeuvre d'un projet ou engager une action sur le fondement du délit d'entrave. En pratique, si les juges constatent l'irrégularité de la procédure, l'entreprise devra suspendre la mise en oeuvre de son projet jusqu'à la consultation régulière du CHSCT.
Pourtant, force est de constater que, dans la pratique, nombre de comités rencontrent des difficultés de fonctionnement et se plaignent d'un manque de crédibilité auprès de la direction ou des salariés eux-mêmes. Combien de fois des élus disent : "Finalement, on ne sert à rien, l'employeur fait ce qu'il veut, notre avis n'est que consultatif, on n'a aucun poids..." Il arrive aussi que les membres du CHSCT sous-estiment ses prérogatives, restreignant son rôle à un simple contrôle de l'application des règles légales en matière d'hygiène et de sécurité, ce qui aboutit à édulcorer les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi et par les juges.
Des avis à motiver
Comment s'affranchir de ces limites ? Le comité d'entreprise (CE) peut être un premier appui pour asseoir la légitimité du CHSCT. Dans un arrêt très récent, la Cour de cassation a considéré qu'il ressort de l'article L. 2323-27 du Code du travail que, lorsqu'il est consulté sur les problèmes généraux intéressant les conditions de travail, le CE doit disposer de l'avis du CHSCT. S'il ne l'a pas, il peut contester devant le juge des référés la régularité de la procédure d'information-consultation menée devant lui et bloquer le processus décisionnel de l'employeur. La Cour va encore plus loin, puisqu'elle énonce que c'est au juge de vérifier si le CHSCT a été "en mesure de donner son avis", c'est-à-dire s'il a eu toutes les informations nécessaires.
Par ailleurs, si on souhaite véritablement que l'avis du CHSCT ait un poids juridique, les représentants du personnel ne doivent pas se contenter de rendre un avis "favorable" ou "défavorable". Ils doivent motiver cet avis en argumentant, être force de proposition et le voter. Il s'agira de préparer les questions à poser, de demander une présentation du projet et du plan de prévention, par exemple, et surtout de ne pas se contenter d'un simple tour de table. Certes, l'avis n'est que consultatif, mais l'employeur sera dans l'obligation, à la prochaine réunion, de justifier le refus de prise en compte des observations et propositions du comité. Dans un arrêt qui a fait date, la Cour de cassation a même ordonné la suspension d'une réorganisation du travail mise en place par un employeur, au motif que le CHSCT et le CE, éclairés par un rapport d'expert, avaient rendu un avis négatif huit mois plus tôt en pointant des risques pour la santé des salariés (arrêt Snecma, Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-45888) !
Ainsi, même si le processus de consultation est respecté, un avis négatif ne permet pas à l'employeur de lancer son projet sans se préoccuper de cette opposition, dès lors qu'il ne respecte pas son obligation de sécurité de résultat. En cas d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, suivis d'une procédure pour faute inexcusable ou de poursuite pénale, l'employeur ne pourra pas dire qu'il ne savait pas... Il reste à espérer que le législateur ne viendra pas remettre en cause la montée en puissance du CHSCT, mais au contraire accompagnera son émancipation, afin de créer une vraie dynamique de prévention dans les entreprises.