Avec 250 métiers différents exercés dans les collectivités, la fonction publique territoriale se caractérise par une multiplicité des risques professionnels. Les quelque 2 millions d’agents territoriaux, surtout des ouvriers ou employés de catégorie C, relèvent également de plus de 46 000 employeurs. Deux difficultés avec lesquelles les acteurs de prévention doivent composer au quotidien. Ceux-ci interviennent en général depuis un centre de gestion départemental (CDG). Les CDG, auxquels est affiliée la grande majorité des collectivités, accompagnent les élus employeurs en matière de santé et sécurité au travail. Quelques grandes collectivités disposent néanmoins de leurs propres ressources en interne.
Face à la diversité des risques, une partie des professionnels de la santé au travail tend à se spécialiser dans le suivi de certains métiers. « Des préventeurs s’occupent spécifiquement des agents travaillant aux espaces verts, d’autres des agents des ateliers ou encore de la police et du contrôle du stationnement », explique Elie Maroglou, responsable du service prévention et ergonomie de la ville de Lyon. Une logique de spécialisation qui a aussi cours chez les médecins du travail, selon Romain Juston Morival, sociologue, qui a étudié l’activité de praticiens au sein d’une grande collectivité. « Contrairement à leurs collègues du privé, les 20 médecins du travail de cette collectivité de 50 000 agents ont le temps d’effectuer des actions en milieu de travail », précise-t-il. Malheureusement, ce type de contexte ne prévaut pas dans toute la territoriale.
Métiers à risque
A défaut de personnels en nombre suffisant, les préventeurs doivent prioriser les métiers les plus à risque. C’est ce que pratique Florence Carruel, médecin du travail pour la ville de Noisy-le-Grand et présidente de l’Association nationale de médecine préventive des personnels territoriaux. « Je privilégie les métiers de la petite enfance, de l’entretien et de la restauration pour les femmes, ou ceux en charge des espaces verts et du BTP, pour les hommes », indique- t-elle.
Côté réglementation, ce sont les chargés d’inspection en santé et sécurité au travail (Cisst) qui sont supposés intervenir. Une intervention payante pour les collectivités affiliées à un CDG et qui demeure soumise à leur bon vouloir. Une collectivité peut en effet refuser d’être inspectée. De leur côté, les grandes collectivités ont leurs propres chargés d’inspection, qui se retrouvent dans une posture délicate, car devant contrôler leur propre employeur. « Notre mission consiste à dresser un état des lieux des risques, à s’assurer du respect de la réglementation et à proposer toute mesure de nature à améliorer les conditions de travail », explique Matthieu Armbruster, président de l’Association nationale des chargés de l’inspection en santé et sécurité au travail (Ancisst).
Les rapports d’inspection sont transmis à l’autorité territoriale, aux médecins du travail et aux élus des nouvelles formations spécialisées en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail (FSSSCT), censées remplacer les CHSCT. « Nous prenons en compte les alertes des médecins du travail ou des représentants du personnel, et nous essayons dans la mesure du possible d’y répondre », poursuit Matthieu Armbruster. S’ils peuvent faire des rappels écrits à la règle, les chargés d’inspection n’ont cependant aucun pouvoir coercitif. « C’est l’une des contraintes de notre métier », reconnaît-il.
Ces derniers travaillent souvent de concert avec des conseillers ou assistants de prévention dans les petites collectivités. Toute autorité territoriale doit en effet désigner des acteurs de prévention de proximité parmi leurs agents, lesquels exercent leur mission en marge de leur activité principale. Avec seulement deux jours de formation par an, ces conseillers ou assistants sont quelque peu démunis. « Nous organisons des journées thématiques pour les outiller, par exemple sur l’analyse des causes des accidents du travail ou sur les différents risques professionnels », indique Elie Maroglou, avec sa casquette de président du Réseau des préventeurs et ergonomes des collectivités territoriales (Respect).
Guides pour l’action
Les CDG ou le Fonds national de prévention (FNP) de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) diffusent de leur côté des documents afin d’accompagner les démarches de prévention pour les métiers considérés comme les plus pénibles. Le FNP a ainsi récemment lancé deux projets afin d’améliorer les conditions de travail des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) et celles des métiers des services à la personne à domicile : cartographie des risques, analyse des situations de travail, élaboration de plans d’actions et de recommandations.
Si les risques psychosociaux ont longtemps été oubliés dans la territoriale, quelques collectivités ont entrepris des démarches sur le sujet. C’est le cas du CDG du Nord, qui souhaite comprendre ce qui conduit aux arrêts de longue durée pour troubles psychiques, afin d’identifier les mesures de prévention adaptées (voir A lire). Romain Juston Morival cite de son côté l’exemple d’une ligne d’écoute mise en place dans une grande collectivité pour prévenir les situations de souffrance au travail. « A côté de la prise en charge individualisée, le dispositif a aussi une visée collective de surveillance de la santé au travail », précise le sociologue.
Trop peu de médecins
Pour autant, la prévention primaire demeure une gageure dans la territoriale. Parmi les constats partagés par l’ensemble des préventeurs : leur nombre insuffisant. C’est le cas, a priori, des médecins du travail, dont personne ne semble en mesure de chiffrer les effectifs. « Des confrères qui, auparavant, prenaient en charge 2 000 agents, doivent désormais s’occuper de plus de 6 000 personnes », témoigne néanmoins Florence Carruel. D’autre part, le mandat des élus des collectivités, d’une durée de six ans, ne facilite pas le lancement d’initiatives sur la durée. « Ils sont plus souvent préoccupés par l’affichage d’actions destinées à la population que par les investissements en prévention pour les agents », observe Guillaume Gonon, directeur du pôle santé du CDG du Rhône et de la métropole de Lyon.
Aussi les préconisations des préventeurs ne sont-elles pas toujours suivies d’effet. Pour Mathilde Icard, présidente de l’Association des DRH des grandes collectivités et directrice générale du CDG du Nord, un contrôle des collectivités par l’Inspection du travail concourrait au respect de la réglementation par les employeurs. « Nous souhaiterions un système de mutualisation des risques avec une logique incitative de bonus-malus », précise-t-elle également. Une incitation financière à la prévention sur le modèle de ce qui existe dans le secteur privé.
Ces propositions permettraient aussi à la territoriale de mieux faire face aux enjeux liés à la pénibilité et à l’usure professionnelle, peu pris en compte, en dehors du droit à départ anticipé en retraite pour une poignée de métiers masculins. Selon la sociologue Marion Gaboriau, autrice d’une thèse sur les inaptitudes des agents de la ville de Paris, celles-ci sont rarement considérées comme résultant du travail par les médecins agréés et l’administration et ne donnent pas lieu à un questionnement. Pourtant, les visites d’aptitude à la demande de l’employeur augmentent fortement, notamment en raison du manque de marges de manœuvre pour maintenir en poste les agents fragilisés. Et ceux déclarés inaptes sont loin d’être tous reclassés.
Ces décisions d’inaptitude concernent davantage les femmes que les hommes. « En raison de parcours professionnels discontinus, elles doivent travailler plus longtemps sur des métiers pénibles, peu reconnus comme tels et n’offrant pas d’évolution professionnelle ni de droit à un départ anticipé », explique Marion Gaboriau. Or lorsqu’elles sont mises en disponibilité d’office ou en retraite pour invalidité, ces femmes se retrouvent parfois dans des situations très difficiles, faute d’une prévention digne de ce nom.