Depuis 2013, l’enquête Conditions de travail du ministère du Travail interroge un échantillon de salariés qui se situent pour une moitié dans les entreprises et pour l’autre dans les administrations. Intégrant des questions sur les risques psychosociaux, elle permet de comparer leur diffusion dans la fonction publique par rapport au secteur marchand. Les données de 2013 et 2016 montrent ainsi que les fonctionnaires et les contractuels sont exposés à peu près aux mêmes risques professionnels que leurs homologues du privé. Cela, qu’il s’agisse des pénibilités physiques, des horaires atypiques, des transformations organisationnelles, de la charge mentale, des tensions avec la hiérarchie, du harcèlement professionnel, ou des conflits éthiques liés à la difficulté de « bien faire son travail » selon ses propres critères de qualité.
En revanche, les fonctionnaires se distinguent par une exposition plus forte aux risques liés aux exigences émotionnelles dans le cadre des relations avec le public : être en contact avec des personnes en détresse, devoir calmer des gens, vivre des situations de tension avec les usagers. Ces risques, présents dans les firmes du tertiaire, sont renforcés dans le secteur public, du fait par exemple du rapport d’autorité des policiers, des enseignants et des agents du fisc avec la population, ou encore de la dimension sociale du travail des soignantes et des agentes des guichets de proximité de l’Etat.
Intensification et évaluation
Comment expliquer la convergence des risques entre privé et public ? Un double mouvement se dessine dans les enquêtes Conditions de travail. D’un côté, l’intensité du travail augmente de manière parallèle dans les entreprises et dans les administrations entre 1991 et 2013. De l’autre, on observe dans les années 2000 la diffusion d’instruments d’évaluation de l’activité : entretiens annuels, procédures « qualité », contrôle informatisé ou objectifs chiffrés. En analysant les formes d’organisation du travail, on constate que celles ayant cours au sein de l’Etat et des hôpitaux se sont largement rapprochées de celles des grandes entreprises du secteur des services.
Sous l’effet des réformes managériales, 44 % des cadres du public, hors collectivités locales, se trouvent en 2019 dans un modèle d’autonomie évaluée par des objectifs chiffrés. En bas de la hiérarchie, 45 % des employés sont confrontés à une forme de néotaylorisme, caractérisé par une forte intensité du travail et un recours important aux instruments d’évaluation : aides-soignantes, agents des impôts, policiers soumis à la politique du chiffre. C’est aussi le cas de plus de 60 % des infirmières, des techniciennes médicales ou des conseillères Pôle emploi.
Une analyse « toutes choses égales par ailleurs » sur les données de 2013 confirme que l’organisation du travail est bien le facteur d’explication principal des risques professionnels : les salariés sur des postes de type néotaylorien présentent des risques plus forts de relations hiérarchiques dégradées, de harcèlement professionnel, de charge mentale élevée, de manque de moyens pour faire correctement son travail et de conflits avec le public.