Les troubles musculosquelettiques (TMS) sont, de loin, les maladies professionnelles reconnues les plus fréquentes en France et dans la plupart des pays économiquement développés. Ces affections de l'appareil locomoteur au voisinage des articulations affectent les membres supérieurs et inférieurs, ainsi que le rachis. Elles sont à l'origine de douleurs et de déficits fonctionnels, et leur passage à la chronicité peut compromettre durablement le maintien et le retour au travail. Leur origine, multifactorielle, est liée aux conditions de réalisation du travail, dès lors que celles-ci comportent des contraintes biomécaniques (gestes répétitifs, efforts excessifs, travail dans des postures inconfortables ou en position statique soutenue) et des facteurs psychosociaux sources de tensions au travail, de désordres psychologiques, de stress chronique et d'un défaut de récupération fonctionnelle.
Surtout touchées au cou et aux épaules
L'environnement physique, organisationnel, social, managérial et économique de l'entreprise a bien entendu une influence sur l'ensemble de ces éléments. Des facteurs de risque extraprofessionnels (activités sportives et de loisir, tâches domestiques) et personnels (âge, facteurs génétiques, genre) sont également identifiés.
De nombreuses études établissent que les femmes sont davantage concernées que les hommes par les TMS, tant en termes de prévalence - donc en nombre de cas relevés à un moment donné -, que d'incidence - en nombre de nouveaux cas survenus sur une période donnée. Avec une prédominance d'affections du cou et des épaules chez les femmes et des difficultés accrues pour elles quant au retour ou au maintien en activité après un arrêt de travail lié à un TMS. En France, les données du réseau de surveillance épidémiologique des TMS en Pays-de-la-Loire montrent ainsi, dans le volet relatif au suivi en entreprise, que 11 % des hommes et 15 % des femmes âgés de 20 à 59 ans souffrent d'un TMS diagnostiqué par leur médecin du travail, pathologie touchant principalement les ouvriers des deux sexes et les employées. Des données plus récentes, issues de la cohorte Constances, corroborent ces constats. S'appuyant sur la déclaration de douleurs persistantes par localisation anatomique, elles attestent, chez les actifs entre 30 et 69 ans, une prévalence de douleurs systématiquement plus élevée pour les femmes que pour les hommes.
Des postes taillés pour l'homme
Parmi les explications avancées pour justifier ces écarts, plusieurs renvoient à des caractéristiques physiologiques différentes entre les sexes. La stature moyenne des femmes est en effet inférieure à celle des hommes. Leurs segments corporels sont plus courts et les rapports anatomiques au niveau de certaines articulations, notamment des membres inférieurs, diffèrent de ceux des hommes. La répartition des masses musculaire et graisseuse, l'élasticité tendino-musculaire et ligamentaire comme la résistance osseuse sont aussi différentes. Leur force moyenne représente environ deux tiers de celle de leurs homologues masculins. Cela est lié en partie à l'imprégnation hormonale, plus riche en oestrogènes chez les femmes et en testostérone chez les hommes. Les périodes de bouleversement hormonal (grossesse, ménopause, certaines maladies) ont aussi des conséquences sur le métabolisme osseux, tendino-musculaire, ligamentaire, voire cardiovasculaire et neurologique, susceptibles d'affecter les performances de l'appareil locomoteur.
Si ces caractéristiques physiologiques peuvent être à l'origine de contraintes biomécaniques plus élevées pour les femmes, à charge physique égale pour une même tâche, ou de difficultés d'adaptation à certains postes de travail, elles ne suffisent cependant pas à tout expliquer. Elles peuvent notamment masquer des situations d'exposition différenciée aux principaux facteurs de risque, ainsi que des facteurs socioculturels ou environnementaux. Ainsi, dans les environnements de travail marqués par une forte standardisation, plusieurs études ont démontré que les postes et outils de travail étaient conçus en fonction de normes anthropométriques majoritairement adaptées aux hommes, et non aux femmes.
En outre, l'affectation aux postes de travail en milieu industriel privilégie encore massivement l'orientation des femmes vers des postes nécessitant des gestes répétitifs, précis, tandis que celle des hommes se fait vers des postes comportant des efforts physiques importants engageant l'ensemble du corps, les sollicitant plus sur le plan musculaire et cardiovasculaire.
Enfin, les femmes au travail sont plus exposées que les hommes à certains facteurs de risques psychosociaux, tels que des exigences psychologiques élevées et une faible autonomie, eux-mêmes associés aux TMS du cou et des épaules, dont elles sont plus souvent victimes.
D'autres études ont pointé une différence sexuée de perception de la douleur, dont le seuil est plus bas chez les femmes. Cela pourrait expliquer le plus grand nombre de TMS signalés par les femmes dans des enquêtes déclaratives, mais pas leur plus grande prévalence chez elles constatée dans des études menées à partir d'examens cliniques standardisés.
Une motricité genrée
Des différences de coordination motrice entre hommes et femmes ont aussi été mises en avant. Une étude constate, par exemple, que, lors d'une tâche de manutention manuelle, les femmes favorisent les mouvements de hanche, rigidifient la posture du rachis et tendent à rapprocher de leur corps la charge portée, davantage que les hommes. Mais ce type de différences est à relier aussi à des facteurs socioculturels et environnementaux, comme l'adoption dès le plus jeune âge de comportements posturaux spécifiques selon le genre, sous l'influence d'implicites culturels, ou la pratique d'activités physiques et de loisir différentes entre filles et garçons. Ces facteurs influencent le développement de l'activité motrice, en attribuant au mouvement et au geste un sens lié au genre. Seront ainsi privilégiées des habiletés tournées, pour les femmes, vers le travail de précision et la "beauté" du geste et, pour les hommes, vers le travail de force.
Ajoutons à ces constats l'affectation des tâches domestiques, encore majoritairement dévolues aux femmes malgré leur insertion professionnelle quasi équivalente à celle des hommes. Cet investissement accru s'accompagne de contraintes biomécaniques et d'exigences psychologiques fortes pouvant se cumuler avec celles présentes en milieu professionnel. Peuvent s'y additionner une fatigue générale accrue, des troubles anxieux et du sommeil, qui nuisent à une bonne récupération fonctionnelle, elle-même identifiée comme un facteur protecteur vis-à-vis du risque de TMS.
Il s'avère donc que les différences observées entre les hommes et les femmes concernant les TMS ne peuvent se réduire aux seuls motifs physiologiques. Il importe d'aborder les pistes de prévention en considérant l'ensemble des facteurs explicatifs, professionnels et extraprofessionnels, et ce, à l'échelle du parcours de vie.