De nos jours, il est fréquent d'envoyer les travailleurs en souffrance "se faire suivre par un psy". Cette situation récente a entraîné le développement de pratiques psychothérapiques, diverses et peu documentées, dans le champ du soin pour ceux qui imputent leurs troubles psychiques à leur travail.
Il ressort de ces pratiques que les thérapeutes ont à explorer non seulement les conditions de travail, mais aussi le travail lui-même : "Qu'est-ce que ça me fait de faire ce que je fais comme je le fais ?" Cette question demande à être instruite longuement, dans la stricte confidentialité. Quand, comment est-ce arrivé, en faisant quoi et de quelle manière ? Ce cadre-là ne restreint pas la scène du trouble à une organisation mal prescrite du travail, mais bien au travail lui-même, tel qu'il a été effectué avec d'autres, dans ses moindres détails. On entend alors par travail la définition qu'en donne l'ergonomie : ce que le travailleur ajoute à la prescription pour qu'elle soit efficace. Ce qu'on a inventé, bidouillé, vendu, bradé de soi au service de l'employeur, parfois au mépris des valeurs portées par ses divers groupes d'appartenance. Il s'agit de rendre conscientes les différentes logiques auxquelles on a prêté sa force, ses convictions, et qui ont lâché lamentablement, parfois violemment.
Il s'agit de cerner ce qui est arrivé à cette personne-là dans les logiques actuelles de production, que le "psy" aura à connaître. La financiarisation de l'économie comme les méthodes managériales actuelles ne présentent en effet pas la même simplicité de compréhension que la logique économique patronale du siècle dernier.
Loin de l'arène de l'emploi
Il faut peser ensemble, prudemment et sans aucun jugement moral - comme la technique psychothérapique l'exige -, les tours et détours des mécanismes d'occultation qui ont permis l'action commune jusqu'à la chute, incompréhensible jusque-là. Une analyse utile pour guider l'action future quand les méandres en seront visités par le salarié, en séance et entre les séances, avec les collègues, en dormant et en vivant, en travaillant. Ce cadre de soins nécessite d'être écarté de l'arène de l'emploi ; il ne peut se trouver subordonné à l'employeur, ni même à un service de santé au travail. Car on présente les choses autrement à ceux qui utilisent notre force de travail, à ceux qui sont chargés de la surveiller, à ceux qui pourront nous représenter en justice.
Un thérapeute qui mène l'analyse d'un patient en état de souffrance aiguë s'attellera uniquement à saisir comment l'activité psychique au travail a pu le rendre gravement et durablement malade. On peut aggraver l'état de personnes indignées, ulcérées, surmenées, exploitées, en psychologisant ou psychiatrisant leur état. Celles qui n'ont pas basculé dans la maladie mentale ont davantage besoin de réfléchir à plusieurs, d'organiser des modalités de résistance, petites ou grandes, que de recourir à un spécialiste en santé mentale. Il n'y a rien de plus "normal" que de souffrir de ce qui nous opprime, et il faut trouver d'autres alliés que des "psys" pour mener un combat social.
Par ailleurs, la reconnaissance d'un statut de victime n'apaise pas toujours qui souffre. Outre que l'apport de la preuve d'une corrélation entre troubles psychiques et travail est d'une grande complexité, les psychothérapeutes doivent veiller à ne pas participer à la catastrophe rapportée en séance par une patiente, évoquant son procès aux prud'hommes : "Je voulais prouver que le travail m'avait rendue dingue, j'ai juste réussi à prouver que j'étais dingue !"