Le travail non déclaré constitue l’une des caractéristiques dominantes du secteur des services à domicile en Europe. Si l’épidémie de Covid-19 a mis en évidence le rôle essentiel joué par les salariées de ce secteur dans l’accompagnement des personnes vulnérables, notamment à travers l’action des aides à domicile, elle a aussi souligné les difficultés de reconnaissance de leur travail, marqué par une longue tradition de dérogations en termes de droits et protections par rapport au reste de la main-d’œuvre. Les formes de régulation de ce type d’activité varient considérablement d’un pays européen à l’autre. C’est notamment le cas entre la France et l’Allemagne.
Dans l’Hexagone, la déclaration des travailleuses à domicile est encouragée, en particulier par le biais de dispositifs fiscaux. Le crédit d’impôt pour services à la personne prend ainsi en charge jusqu’à 50 % des dépenses engagées par les bénéficiaires, avec un plafond pouvant être majoré. Il est versé aux contribuables sous la forme de réductions d’impôt ou reversé pour les ménages non imposables. Les organismes prestataires bénéficient d’une baisse de la TVA et de réductions de cotisations sociales, appliquées aussi aux salariées de particuliers.
En Allemagne, en revanche, le travail non déclaré continue à représenter une part très importante. Les incitations financières sont moins élevées qu’en France : il s’agit de déductions fiscales, plafonnées à hauteur de 20 % des dépenses. De plus, la subvention la plus importante est réservée à une forme d’emploi précaire, les « mini-jobs ». Les titulaires de ces emplois sont exonérés d’impôt sur le revenu et n’ont pas à verser de cotisations sociales. Si ce système permet d’accéder à un emploi déclaré, il n’offre pas d’avantages substantiels. Un « mini-job » ne donne pas accès à une assurance maladie, et le revenu mensuel est limité à 450 euros. C’est probablement une des raisons pour lesquelles le taux d’emplois non déclarés reste si élevé outre-Rhin : jusqu’à 90 % de l’emploi total dans le ménage à domicile.
L’écueil des « mini-jobs » en Allemagne
Comme l’illustre le cas des « mini-jobs » en Allemagne, les emplois dans les services à domicile demeurent souvent atypiques. Ils se distinguent par des droits et protections souvent amoindris pour les travailleuses, à des degrés différents selon qu’elles sont embauchées par des organismes prestataires, salariées directement par les ménages ou en auto-entrepreneuriat.
En France, la plupart des organismes prestataires sont des associations ou des entreprises commerciales. Les travailleuses y sont salariées, couvertes par des conventions collectives étendues, et les règles générales du Code du travail sont censées s’appliquer. Les travailleuses employées par des particuliers sont aussi couvertes par le Code du travail, mais exclues de facto d’une partie des règles de droit commun, notamment concernant le temps de travail. La jurisprudence a permis d’étendre leurs droits et, au début des années 1980, les partenaires sociaux ont signé une convention collective, revue en 1999. Le « rattrapage » du droit commun est néanmoins resté inabouti. Quant à l’auto-entreprenariat, il reste encore très marginal dans ce secteur en France.
Temps de travail à géométrie variable
A contrario, en Allemagne, de nombreuses travailleuses, même déclarées, ne sont pas couvertes par un accord collectif. Pour les tâches de soins et d’aide, le gouvernement fédéral a œuvré ces dernières années à la hausse des salaires minima de branche. Cependant, ceux-ci ne s’appliquent pas aux employées des particuliers. Sont notamment exclues les « Live-Ins », des migrantes d’Europe de l’Est, au nombre de 300 000 environ, qui travaillent et habitent chez leurs employeurs. Pour les tâches ménagères, des conventions collectives existent aussi, qui ne couvrent qu’une faible part de la main-d’oeuvre et ne concernent pas non plus les particuliers. Il n’y a donc que le salaire minimum interprofessionnel, introduit en 2015, et certains standards imposés par le Code du travail – comme le congé payé d’au moins quatre semaines par an – pour cadrer les négociations entre travailleuses et ménages individuels. De plus en plus d’emplois échappent néanmoins à ces standards, l’auto-entrepreneuriat ayant gagné du terrain avec le développement de plateformes digitales pour les tâches ménagères et d’agences intermédiaires qui recrutent et placent les « Live-Ins ».
Enfin, le temps de travail demeure un enjeu important des conditions de travail, et ce dans tous les pays européens. Le temps partiel est en effet majoritaire dans le secteur, avec des horaires souvent fragmentés et atypiques (le soir, les jours fériés, parfois la nuit…). En France, les accords de branche prévoient une grande flexibilité en matière d’aménagement du temps de travail relativement à d’autres emplois à temps partiel. La définition de ce qui est considéré comme du travail effectif pose également question.
C’est le cas dans la convention collective des salariés du particulier employeur, où les heures de « présence responsable », de garde de malade de nuit, ou de présence de nuit ne sont pas considérées comme du travail effectif et sont payées en dessous du Smic. D’autres règles sur le temps de travail de ces salariés s’éloignent du droit commun : durée hebdomadaire à 40 heures, pas de minimum imposé au temps partiel. En Allemagne, une vieille clause du Code du travail permet aussi aux particuliers employeurs de ne pas appliquer les dispositions légales sur le temps de travail, avec à la clé des plages d’activité excessives et fragmentées et une faible rémunération des heures de présence.
Comparativement aux autres pays européens, la France peut sembler en avance sur les droits accordés aux travailleuses des services à la personne. De nombreuses dérogations au droit commun, défavorables aux salariées, perdurent néanmoins. La pandémie actuelle pourrait constituer une opportunité pour améliorer la situation.