Le modèle alternatif de l'agriculture paysanne ou bio s'accompagne-t-il d'une amélioration des conditions de travail ?
Romain Balandier : Nous défendons un projet global, qui comprend un volet environnemental mais aussi social. Le bien-être paysan, avec des agriculteurs bien dans leur tête et dans leur ferme, compte tout autant que la réduction ou la suppression des produits phytosanitaires. Le choix d'exploitations "à taille humaine" que nous privilégions apporte un meilleur confort de travail. Car qui dit agriculture intensive dit aussi intensification du travail. Pour produire plus, il faut investir dans du matériel coûteux et le poids de l'endettement entretient ce cercle vicieux qui maintient une pression morale et physique sur les exploitants. Les conditions de travail dépendent donc beaucoup du volume de production décidé au départ. En outre, différents modes d'organisation du travail plus collectifs, comme les coopératives ou la forme associative du Gaec
, permettent d'alléger les emplois du temps, de ne pas travailler certains week-ends et de prendre des congés.
Sortir de l'agriculture intensive, n'est-ce pas revenir à des modes de production moins mécanisés mais plus pénibles ?
R. B. : Pas du tout ! C'est un cliché de penser que dans l'agriculture durable ou bio tout est fait à la main ! Grâce aux structures collectives, il est possible de travailler avec du matériel moderne qui est partagé. De plus, on se sent moins isolé quand on rencontre des difficultés. Rappelons que c'est une des professions où le taux de suicide est le plus élevé. Les techniques d'agronomie, la rotation des terres, la mise en prairie temporaire ouvrent des solutions de substitution à l'utilisation des phytosanitaires. Et c'est autant de temps qui n'est pas passé à répandre sur le sol des produits dangereux. Voilà qui est deux fois mieux pour la santé des paysans. Dans le maraîchage bio, une activité qui reste peu mécanisée, il existe des méthodes de production particulières qui permettent de réduire la pénibilité physique du travail à la main. Là aussi, la surface cultivée doit être raisonnable, sinon les exploitants courent dans tous les sens, au milieu des mauvaises herbes. Vulgariser ces techniques est d'ailleurs aujourd'hui un enjeu.
Repères
Les associations pour le développement de l'emploi agricole et rural (Adear) proposent notamment un accompagnement ainsi que des formations à ceux qui sont ou souhaitent devenir paysans. Pour en savoir plus, aller sur le site de leur fédération : www.agriculturepaysanne.org
Etre militant de l'agriculture paysanne, cela ne pousse-t-il pas à mettre de côté ses conditions de travail ou celles de ses salariés ?
R. B. : Respecter la santé des salariés et des paysans, leur temps de travail, leur niveau de revenus fait partie de notre modèle. Mais dans les petites fermes peuvent exister des dérives, notamment des abus sur le temps de travail. D'autre part, ce type d'agriculture en lien avec son territoire a conduit depuis vingt ans au développement de circuits courts entre paysans et consommateurs. Ce qui fait que, en plus de la production, l'exploitant doit s'occuper de la préparation du produit et de sa vente. Beaucoup le font par passion, mais cela alourdit la charge de travail et débouche parfois sur un "enfermement" dans le travail. Les associations pour le développement de l'emploi agricole et rural ont pour rôle d'accompagner ces projets, en diffusant de l'information sur les différents modes de commercialisation, le temps qu'ils requièrent, mais aussi en mettant en relation des agriculteurs qui ont des projets semblables ou complémentaires. Dans l'agriculture paysanne, une des clés pour avoir de bonnes conditions de travail, c'est la mise en réseau et le travail en commun.