De l'industrialisation à l'intensification du travail
Les mutations économiques subies par l'agriculture ces dernières années, notamment le développement d'une véritable chaîne agroalimentaire de type industriel, ont eu de multiples répercussions sur les conditions de travail et la santé des actifs agricoles. De plus en plus confrontés à des exigences extérieures concernant leur travail - normes de qualité ou sanitaires, contraintes imposées par la grande distribution, les coopératives ou les semenciers -, les agriculteurs ont de moins en moins de marges de manoeuvre pour y faire face. La survie de leur exploitation les pousse à adopter des méthodes de travail qui ne correspondent plus forcément à leur conception du métier, mettant à mal leur rapport à ce dernier. C'est le cas notamment dans l'élevage, où le rapport dégradé au vivant imposé par les nouveaux modes de production fait souffrir les animaux comme les éleveurs.
Au-delà, l'activité se caractérise aujourd'hui par une charge mentale plus forte, liée aux nombreuses informations et décisions à gérer. Du fait d'impératifs de rendements plus importants, on assiste également à un renforcement de la pénibilité physique, notamment des gestes répétitifs sous cadence, malgré la mécanisation accrue de l'activité. Cette intensification du travail a bien entendu des effets sur la santé des actifs agricoles, souvent vieillissants et isolés, avec entre autres une progression des troubles musculo-squelettiques et des risques psychosociaux.
Enfin, l'intégration de plus en plus importante de l'agriculture dans un marché mondialisé favorise le développement de crises sanitaires, qui menacent tout autant la santé des animaux que celle des agriculteurs. Sans oublier les formes de plus en plus précaires d'emploi imposées aux saisonniers, les exposant davantage aux risques professionnels.
Les pesticides, fléau agricole
Parmi les nombreux risques auxquels sont exposés les agriculteurs, il en est un qui mérite une place à part. Corollaire de l'industrialisation du secteur, l'usage massif de produits phytopharmaceutiques, ou pesticides, pour améliorer les rendements est considéré aujourd'hui comme la source de nombreuses pathologies. Les connaissances épidémiologiques attestent d'un lien entre l'exposition à ces produits et l'apparition de maladies neurodégénératives, notamment celle de Parkinson, ou de cancers du sang (lymphomes malins, myélomes, leucémies...). Ces produits sont aussi suspectés de provoquer d'autres cancers, notamment de la prostate, du cerveau, de la peau...
Si certaines substances actives présentes dans les pesticides sont classées cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques, il demeure néanmoins difficile de relier directement l'une d'entre elles à telle ou telle pathologie. Difficulté renforcée par la multiplicité des molécules et expositions et le manque de connaissances sur les modes d'utilisation réels des produits sur le terrain. Ce qui suppose de poursuivre les recherches dans ce domaine.
La mise sur le marché comme l'utilisation des pesticides dangereux sont encore conditionnées aujourd'hui par le port d'équipements de protection individuelle. Or cette protection se révèle souvent insuffisante, du fait de l'inadaptation des équipements aux conditions de travail réelles ou de leur efficacité limitée par rapport aux produits utilisés. La prévention du risque toxique ne peut donc reposer uniquement sur ce type de matériel. Afin de limiter au maximum les expositions, il est nécessaire d'analyser l'activité de travail. Le but est d'identifier les contraintes organisationnelles ou techniques qui empêchent les salariés de se protéger ou qui favorisent les expositions, afin de les alléger. Une démarche qualifiée d'ergotoxicologique.
A la recherche d'un nouveau modèle
Face aux multiples enjeux de santé posés par l'intensification du travail ou l'utilisation des pesticides en agriculture, des pistes de prévention plus ou moins pérennes existent. Ainsi, concernant les toxiques, le principe de substitution des produits les plus nocifs par d'autres qui le sont moins devrait être mis en oeuvre.
Concernant les contraintes physiques ou temporelles liées à l'activité, la mise en commun des exploitations peut les alléger, en permettant à des agriculteurs de mutualiser le travail. Une stratégie expérimentée avec succès par certains éleveurs. Dans le même esprit, des groupements d'employeurs ont vu le jour, afin de créer des emplois partagés entre diverses activités, certaines agricoles et d'autres non. Une façon de diminuer la précarité d'emploi des travailleurs saisonniers en leur garantissant un volume de travail sur toute l'année. Une solution qui reste fragile, car tributaire du devenir de chaque employeur.
Le renforcement des droits accordés aux saisonniers, la responsabilisation des employeurs et le lancement de programmes de prévention spécifiques à certains risques doivent aussi être effectués. Ils mobilisent les partenaires sociaux, notamment dans le cadre des comités paritaires d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ou la Mutualité sociale agricole.
Il reste néanmoins nécessaire de réfléchir à un autre modèle productif, respectueux à la fois du travail des agriculteurs, de l'environnement et des consommateurs. Cela suppose par exemple une prise en compte des réalités du travail agricole dans l'élaboration des normes appliquées au secteur. Au-delà, le modèle agricole défendu par la Confédération paysanne, sur la base d'exploitations à taille humaine, d'un partage des outils et de techniques agronomiques alternatives censées réduire l'usage des pesticides, constitue une réponse possible.