Les valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP) occupent une place importante dans la panoplie des outils disponibles pour la prévention du risque chimique sur les lieux de travail. Elles sont utilisées depuis des décennies dans les pays industrialisés pour contrôler l'exposition des travailleurs aux substances dangereuses. Une VLEP pour une substance donnée sert de référence à la mesure de sa concentration dans l'atmosphère de travail. Si la concentration mesurée est supérieure à la valeur limite, des dispositions doivent être prises afin de réduire les risques pour les travailleurs. L'ampleur de ces dispositions dépend de son caractère réglementaire. En France, comme au niveau européen, certaines VLEP sont en effet contraignantes et d'autres seulement indicatives. Le dépassement d'une valeur limite contraignante pour une substance cancérogène peut ainsi conduire à un arrêt temporaire du travail sur les postes concernés.
Les VLEP peuvent aussi servir à vérifier l'efficacité des mesures de prévention mises en place face au risque chimique. Il est néanmoins nécessaire de rappeler que leur respect ne peut en aucun cas être considéré comme l'objectif d'une prévention efficace. La prévention du risque chimique repose sur une hiérarchie de mesures, dans laquelle l'élimination et la substitution des agents dangereux sont la priorité. Si ce n'est pas possible, il convient de réduire le niveau d'exposition des travailleurs au minimum par des mesures techniques ou organisationnelles et, en dernier recours, par des équipements de protection individuelle. Dans ce cadre, les VLEP constituent donc un outil complémentaire.
Des garde-fous atmosphériques
Comme tout outil, elles ont aussi leurs limites. Ainsi, sur les lieux de travail, le risque chimique est rarement le fait d'une seule substance, les travailleurs étant en général exposés à plusieurs produits en même temps. Or une VLEP n'est développée que pour une substance spécifique. Les mesures mises en place pour la respecter ne sont donc pas nécessairement efficaces pour maîtriser les risques liés à l'exposition à d'autres substances présentes dans l'atmosphère de travail. Autre écueil : pour certaines substances dangereuses, la principale voie d'exposition n'est pas l'inhalation mais la voie cutanée, par contact avec la peau. Or les VLEP ne visent que les contaminations atmosphériques. Dans ce cas, une valeur limite biologique peut être nécessaire, en complément de la VLEP.
Le niveau de la valeur limite, exprimé en général en mg/m³, dépend également de l'état des connaissances scientifiques au moment où elle a été fixée. Cette valeur peut être en retard sur l'évolution des données concernant la dangerosité du produit. Trop souvent, les VLEP en vigueur sont d'ailleurs obsolètes de ce point de vue. Certaines sont aussi définies en tenant compte de paramètres socio-économiques. Elles sont alors le fruit d'une "construction sociale", résultant d'un compromis entre la protection de la santé des travailleurs et les intérêts des industriels et employeurs. La valeur adoptée par la législation ne garantit donc pas une protection intégrale.
En outre, il faut savoir que certaines substances dangereuses, comme les pesticides ou les biocides, échappent au système des VLEP, du fait de leur procédure d'homologation spécifique. Néanmoins, malgré leurs limites, ces valeurs demeurent très utiles dans de nombreuses situations à risque, comme le désamiantage, l'exposition à la silice cristalline, aux poussières de bois, au chrome hexavalent et à bien d'autres cancérogènes difficiles à substituer.
Concernant l'application des valeurs limites, le site de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) propose plusieurs outils et un dossier Web sur la mesure des expositions aux agents chimiques et biologiques : www.inrs.fr.
"Les valeurs limites d'exposition professionnelle : utilités et limites pour la protection des travailleurs", par Tony Musu, in Cancer et travail. Comprendre et agir pour éliminer les cancers professionnels, Etui, 2018.