Avant décembre 2014 et l'intervention du CHSCT, les attachés clientèle de l'agence Crédit agricole de Chemillé (Maine-et-Loire) étaient installés dans une sorte de cabane vitrée avec vue sur... le mur. A présent, ils sont logiquement placés face à l'entrée des clients. "Les sièges à roulettes n'étaient pas pratiques, alors nous restions debout toute la journée. A force, ça use !", confie Suzanne Godineau, attachée clientèle. Suite à sa consultation par les membres du CHSCT, et à la visite d'un ergonome, elle se sent enfin correctement installée. Tantôt debout, tantôt assise sur son siège ergonomique. La hauteur du poste est même adaptable à la position de sa collègue handicapée.
Depuis 2001, la caisse régionale de l'Anjou et du Maine du Crédit agricole a investi des moyens dans la concertation avec son CHSCT. Elle a tout d'abord augmenté la délégation du personnel, portant à onze le nombre de représentants, soit deux de plus que ce que prévoit le droit du travail, et autant de suppléants. Lors de la mise en place du document unique d'évaluation des risques (DUER), elle a également accepté d'accorder davantage de temps aux échanges avec les élus du CHSCT. A tel point que, rapidement, les quatre réunions annuelles se sont révélées insuffisantes, compte tenu notamment des aménagements de locaux que la généralisation des automates exigeait. Dans le cadre d'un accord d'entreprise, les délégués syndicaux ont aussi obtenu la création de deux commissions CHSCT, l'une consacrée à l'évaluation des risques professionnels, l'autre aux projets d'aménagement immobiliers.
Une commission qui se professionnalise
Cette dernière commission permet de "gagner du temps, en agissant comme un groupe de travail qui colle davantage à la temporalité des projets, qui a les moyens de réaliser des études de terrain, qui peut sortir de certains formalismes et éviter les lourdeurs de fonctionnement", selon Bernard Dugué, ergonome qui a accompagné la caisse dans son changement d'organisation de la fonction d'accueil. "A présent, nous établissons un cahier des charges en commission, nous suivons pas à pas le projet avec les élus et ensuite nous demandons l'avis du CHSCT qui, logiquement, est d'accord, puisqu'il a été associé à l'élaboration de la solution", résume Eric Maudet, chargé des relations sociales de la caisse de l'Anjou et du Maine.
La commission se réunit avant chaque séance plénière avec un représentant de la direction, un de chaque syndicat et, le cas échéant, le responsable immobilier, le médecin ou l'infirmier du travail, "de manière à extraire les questions techniques en les posant en amont aux experts", explique Eric Maudet. De ce fait, cette commission se professionnalise. "Les personnes qui y siègent savent lire des plans, se projeter en tenant compte des remarques des ergonomes", rapporte Hugues Benoit, responsable immobilier et mobilier de la caisse. Cela permet aux uns de comprendre les contraintes des autres. Hugues Benoit sait par exemple qu'on lui reprochera systématiquement un bureau sans lumière du jour directe. "J'explique les contraintes de l'immeuble et je prévois un aménagement spécifique pour qu'il soit tout de même lumineux, en deuxième jour", indique-t-il. De son côté, après seize ans passés au CHSCT, Philippe Leboucher, représentant CFDT, connaît les exigences de l'accessibilité des personnes à mobilité réduite, qui contraignent l'aménagement des espaces.
Pour les élus, travailler ainsi sur les projets, en sollicitant des ergonomes, en réalisant des analyses des situations de travail, c'est le moyen de développer une approche globale des questions à traiter, de faire des liens entre les aspects matériels des projets et l'impact sur l'organisation du travail. Aujourd'hui, le temps passé dans les réunions de commission ne rentre pas dans le quota de vingt heures de délégation dévolu aux élus du CHSCT. Il s'y ajoute. Un gage de reconnaissance du travail qui y est réalisé. Mais il y a toujours des exceptions.
"La mise en place des postes précédents à l'accueil, les "Abribus" comme ils ont été surnommés, a été décidée sur catalogue, sans consultation du CHSCT ni d'un ergonome", raconte Philippe Leboucher. Les chargés de clientèle de l'agence de Chemillé ont expérimenté ce type de poste pendant deux ans et demi. Ils ont fait part des difficultés rencontrées, en termes de conditions de travail mais aussi de relation client. Un argument qui pèse forcément auprès de la direction. Celle-ci a fini par prendre en compte les avis de la commission du CHSCT pour retravailler l'espace de travail et aboutir à l'actuel, pour ensuite le généraliser dans près de 100 agences de la région dans les cinq années à venir. "Le CHSCT représente un contre-pouvoir qui incite la direction à avancer dans le sens de l'intérêt du salarié, tout en gardant à l'esprit la satisfaction du client. Tout le monde y trouve son compte", estime Eric Maudet.
Apprendre de ses erreurs
De plus en plus, le travail en commission devient indispensable. Comme le prouve l'exemple du déménagement du site d'Angers, réalisé sans concertation en 2008. Résultat, certains salariés ont essuyé les plâtres. Les chefs de service voulaient à tout prix leurs équipes au plus proche d'eux, sauf que cela revenait à éloigner des salariés des services avec lesquels ils travaillaient en continu. En vue du déménagement du site du Mans en 2016, la direction a appris de ses erreurs et fait appel au cabinet Ergonova. Des entretiens ont été réalisés auprès de tous les responsables d'équipe, pour déterminer les proximités nécessaires entre les différents services selon leurs interactions. "Un schéma fonctionnel a été établi avec les relations interservices prioritaires et secondaires. L'architecte et le space planner [personne en charge de l'aménagement des espaces de travail, NDLR] ont réalisé les plans selon nos indications", relate Ariane Belet, d'Ergonova.
L'ergonome a ensuite cherché à anticiper les évolutions probables des services, telles que des fusions, et ainsi éviter les erreurs du déménagement du site d'Angers, avec des organisations déjà obsolètes deux ans après l'élaboration des plans. Elle a apprécié travailler pour la toute première fois avec une commission spécifique du CHSCT. Elle a réalisé pour ses représentants trois points d'étape. "A chaque fois, nous avons eu deux ou trois heures pour échanger et aller au fond des choses ; d'habitude, en séance plénière du CHSCT, j'ai à peine trente minutes, compare-t-elle. J'ai senti une grande transparence et un vrai travail de collaboration entre les membres du CHSCT."
Ce travail serait-il remis en question par une fusion du CHSCT avec les autres instances représentatives, comité d'entreprise et délégués du personnel, proposée récemment par le gouvernement ? C'est ce que craint Philippe Leboucher : "Le poste d'élu au CHSCT demande une formation, des compétences en ergonomie, une expertise importante et un investissement dans la durée pour être opérationnel. On n'appréhende pas un dossier économique étudié en comité d'entreprise comme on aborde celui des conditions de travail."