Quels sont les enjeux posés par le travail du dimanche ?
Jean-Yves Boulin : Aujourd'hui, le débat se concentre sur l'ouverture dominicale des commerces. Le travail ce jour-là n'est pas remis en cause dans les fonctions régaliennes de l'Etat - la santé, la sécurité, etc. - ni dans les activités qui assurent une continuité à la vie sociale : les transports, les cafés-restaurants, les loisirs culturels et sportifs. Pourquoi cette cristallisation dans ce secteur ? Deux logiques s'opposent : d'un côté, les tenants de la flexibilité du travail attendent un surcroît de compétitivité pour l'économie et donc la création d'emplois ; de l'autre, les partisans des dimanches non travaillés défendent ce jour de repos particulier pour la tradition religieuse ou la préservation de la vie de famille. En réalité, on s'intéresse peu à l'impact du travail le dimanche sur la vie des Français, y compris dans le rapport de Jean-Paul Bailly
. C'est pourtant indispensable.
Quel est cet impact ?
J.-Y. B. : Selon les données du ministère du Travail, en 2008, près de 8 millions de personnes étaient concernées : 6,5 millions de salariés - soit 28 % du salariat - et 1,5 million de commerçants, agriculteurs, artisans. Les femmes représentent globalement 48,6 % de ces personnes, mais elles sont plus nombreuses à travailler régulièrement ce jour-là (53 %, contre 46 % des hommes), et cette proportion augmente depuis les années 1990. Ce qu'on constate, c'est que les travailleurs du dimanche travaillent aussi assez massivement le samedi. Souvent, ils sont déjà en horaires atypiques, ont des semaines longues ou décalées, subissent des temps partiels marginaux, avec des journées qui commencent tôt et se terminent tard. La dernière vague de l'enquête Emploi du temps de l'Insee, réalisée en 2010, montre que le travail le dimanche a des conséquences sur la vie personnelle : le temps consacré au conjoint, aux enfants, aux amis diminue sensiblement, ainsi que celui consacré aux loisirs. Or ce temps de la sociabilité ne se rattrape pas en semaine, parce que les proches ne sont pas disponibles et que les infrastructures sont moins accessibles. Il est complexe d'établir les effets du travail du dimanche sur la santé, sauf à prendre en compte les conditions de travail plus difficiles évoquées plus haut et une forme d'isolement social, qui peut finir par peser sur la santé mentale. Les enjeux d'une extension sont donc cruciaux, sachant que le travail dominical des uns entraîne en cascade celui des autres, dans les transports, la garde d'enfants, etc.
A quelles conditions une extension du travail dominical ne serait-elle pas préjudiciable aux salariés ?
J.-Y. B. : Le législateur doit fixer les grands principes, des règles simples au niveau national, sur la rémunération, les repos compensateurs, le volontariat. On voit comment cette dernière notion est facile à instrumentaliser en situation de crise et de sous-emploi. Il faut qu'il y ait ensuite une large concertation locale pour décider ce qui peut être ouvert ou non le dimanche. Quand on demande aux habitants d'une ville moyenne ce qu'ils aimeraient, par exemple à Brive, où j'ai mené une étude qualitative, les commerces n'arrivent qu'en quatrième position ; ce qu'ils citent d'abord, ce sont des lieux de rencontre, des lieux où on fait société. Or les dimanches à Brive ne sont pas les mêmes qu'à Roubaix ou Grenoble : le temps et l'environnement patrimonial sont différents. C'est donc au niveau des territoires qu'il faut réfléchir à l'utilité sociale des ouvertures du dimanche.