Le statut même du personnel, qui l'empêche d'être victime d'un licenciement collectif, a entraîné la direction dans une véritable politique de harcèlement institutionnel pour pousser, coûte que coûte, les salariés vers la sortie." C'est ainsi que Patrick Ackermann, du syndicat Sud PTT, décrit les pressions subies par les salariés de France Télécom. De fait, l'entreprise a programmé 22 000 suppressions d'emplois entre 2006 à 2008, et ce sans plan social ni licenciement. Or, 70 % des 100 000 salariés de l'entreprise continuent de relever de la fonction publique. "La souffrance au sein de l'entreprise est telle que nous avons aujourd'hui des fonctionnaires de plus de 50 ans qui démissionnent, ils ne tiennent plus", ajoute Jean-Yves Claret, délégué syndical CFE-CGC.
Inquiets des répercussions de cette politique sur la santé des salariés, les syndicats Sud PTT et la CFE-CGC, rejoints par l'Unsa, ont pris l'initiative en 2007 de créer un observatoire du stress et des mobilités forcées. La première enquête en ligne de cet observatoire syndical a montré que 66 % des salariés interrogés se déclaraient stressés, et que 15 % étaient en situation de détresse. Les syndicats ont alors demandé à des sociologues du CNRS et au cabinet ACT Consultants de les éclairer sur le malaise vécu par le personnel. L'entreprise a de son côté mis en place des cellules d'écoute et d'accompagnement des salariés. Une démarche peu appréciée par les représentants des salariés, qui soulignent le déni de la direction sur l'ampleur du problème.
Un fonctionnement global
L'analyse des chercheurs en sociologie, que ceux-ci ont baptisée "De l'art de programmer la maltraitance au travail", a été réalisée à partir de 40 entretiens de salariés. Ses résultats sont édifiants. Les sociologues parlent d'une dégradation générale des conditions de travail, d'agents mutés comme des pions, arrachés à leur réseau selon des logiques incompréhensibles, d'une déqualification et d'une disqualification fortement ressenties, du poids de l'arbitraire et de l'incertitude, mais aussi de pratiques de harcèlement et de mises au placard... "Au terme de notre analyse, nous aboutissons au constat que le stress, le harcèlement, la mise au placard et les mobilités volontaires forcées, ainsi que leur conséquence indéniable sur la santé des agents sont partie intégrante d'un système de gestion des ressources humaines renvoyant à un mode de fonctionnement global", écrivent les sociologues dans leur rapport d'études rendu public début novembre, lors des états généraux de l'observatoire syndical.
Afin de sensibiliser aux risques psychosociaux l'ensemble des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) locaux de France Télécom, les syndicats ont décidé de publier un ouvrage intitulé Orange stressée : agir contre le stress chez France Télécom. Ce document, diffusé aux militants et élus, rassemble l'ensemble des études conduites par l'observatoire depuis deux ans, des textes de chercheurs, des articles de presse, mais aussi des fiches pratiques à l'attention des CHSCT. Une pétition nationale va également être lancée pour exiger, entre autres, l'indépendance du service médical de France Télécom. En 2007, les médecins du travail se sont en effet vus interdire par la direction de participer aux états généraux de l'observatoire. Après un procès-verbal de l'Inspection du travail et une plainte, une information judiciaire a été ouverte par le parquet.