Les suicides de salariés chez France Télécom ne resteront probablement pas impunis. Le 4 juillet est une date clé dans cette affaire qui a défrayé la chronique. Le juge d’instruction du pôle judiciaire de santé publique parisien, Pascal Gand, a mis en examen Didier Lombard, ancien PDG de France Télécom. Le surlendemain, c’était au tour de Louis-Pierre Wenes, ex-directeur général adjoint du groupe, d’Olivier Barberot, ancien directeur des ressources humaines, et de France Télécom en tant que personne morale, pour harcèlement moral et délit d’entrave au fonctionnement du CE et du CHSCT. Des mises en examen qui plus est assorties d’un contrôle judiciaire et d’une caution. Pour le syndicat Sud, qui avait déposé plainte, c’est une première victoire. Pour Sylvie Catala, inspectrice du travail, qui avait fourni en février 2010 au procureur dela Républiqueun rapport accablant de 80 pages dénonçant les méthodes de gestion de l’opérateur, c’est un aboutissement. Le procès pénal se rapproche. Et, avec lui, une magnifique tribune pour mettre en cause les évolutions des organisations du travail.
La reconnaissance de la dimension collective du harcèlement
Ces mises en examen ne sont pas une première. Il y a un précédent, certes moins connu : le dossier Euronext, dans lequel la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris a prononcé, le 22 novembre 2011, des condamnations pour délit de harcèlement moral d’Euronext en tant que personne morale et de deux de ses cadres, suite au suicide d’un directeur d’audit interne.
Avec France Télécom, un cap est franchi : celui de la reconnaissance de la dimension collective du harcèlement moral. De ce point de vue, la position hiérarchique des personnes mises en examen est révélatrice d’une volonté de pointer un système d’organisation du travail pour le moins anxiogène et pathogène. Entre 2006 et 2009, le plan Next concocté par Didier Lombard et Louis-Pierre Wenes a permis de supprimer 22 000 emplois, d’obtenir 14 000 mobilités et 7 500 changements de métier et de recruter 5 000 personnes. Un plan d’ampleur autrement intitulé « crash programme », dont le volet ressources humaines, ou plan Act, a été mis en œuvre par le DRH Olivier Barberot. Le message des mises en examen est clair : c’est au plus haut niveau que les responsabilités doivent être recherchées, là où le système qui a conduit au suicide de plusieurs dizaines de personnes a été pensé et mis en place. Les managers de proximité ne sont pas dans le collimateur de la justice, eux qui n’ont fait qu’appliquer des consignes. La rupture avec les pratiques antérieures, où seul le chef d’établissement était mis en examen suite à un accident du travail, est nette.
Les employeurs sont prévenus
Mais pour Jean-Paul Teissonnière, avocat de Sud Télécom, la satisfaction n’est pas totale, car, estime-t-il, « la qualification de harcèlement moral est inadaptée ». Selon lui, l’homicide involontaire ou encore la mise en danger d’autrui, retenue par Sylvie Catala, correspondent davantage à la situation, celle d’un opérateur dont « la volonté était de plonger les personnes dans la souffrance mentale pour les mettre en fuite ».
Si l’affaire est renvoyée devant le tribunal correctionnel, elle devrait permettre, quelle que soit son issue, des avancées en termes de prévention. Les employeurs sont prévenus : ils doivent veiller à mettre en place une organisation du travail saine, maîtriser la charge de travail de leurs collaborateurs, ne pas tolérer des actes de harcèlement moral. A défaut, ils devront en répondre au pénal. « Cette évolution s’inspire de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, rappelle Hervé Gosselin, conseiller à cette même chambre. La reconnaissance en novembre 2009 du harcèlement moral managérial ainsi que la jurisprudence sur l’obligation de sécurité de résultat incombant aux employeurs initiée en 2002 avaient largement ouvert la voie. Nous l’avons fait en connaissance de cause. »