Le travail physique et pénible tendrait-il à disparaître ? Ce n'est pas si évident, comme l'indiquent les enquêtes nationales Conditions de travail, menées depuis 1978 par la direction de l'Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares). Malgré les progrès techniques censés alléger les tâches les plus dures, le travail sollicite toujours physiquement les salariés. Rester longtemps debout, rester longtemps dans une posture pénible, effectuer des déplacements à pied longs ou fréquents, devoir porter ou déplacer des charges lourdes, subir des secousses ou des vibrations : en 2016, un peu plus d'un tiers des salariés ont déclaré être exposés à au moins trois de ces cinq contraintes physiques. Contre 12 % en 1984.
Cette augmentation de la proportion de salariés exposés, de 12 % à 34 %, est intervenue entre 1984 et 1998. Elle a concerné les moins qualifiés, mais également des catégories socioprofessionnelles historiquement moins touchées par ces contraintes, comme les professions intermédiaires ou les employés des commerces et services. Ces contraintes ont aussi beaucoup augmenté pour les femmes, exposées à hauteur de 7 % en 1984, puis 27 % en 1998 et 29 % en 2016. Depuis 1998, ces contraintes physiques ne diminuent pas et se stabilisent pour toutes les catégories socioprofessionnelles.
De l'ouvrier du BTP à l'aide-soignant
Même si les ouvriers non qualifiés restent aujourd'hui les plus exposés (63 %, contre 34 % pour l'ensemble des salariés), les employés et professions intermédiaires déclarent également subir ces contraintes : près de la moitié des employés de commerce, 43 % de ceux travaillant au service direct des particuliers et plus d'un quart des professions intermédiaires. Les salariés exposés à ces contraintes physiques travaillent davantage dans les secteurs de l'industrie extractive, la construction, la métallurgie, l'hébergement et la restauration ou le secteur de la santé humaine. Pour aller un peu plus dans le détail, ils sont notamment ouvriers qualifiés du gros oeuvre du bâtiment (94 %), cuisiniers, bouchers, charcutiers, boulangers (77 %), agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs, bûcherons (75 %) ou encore aides-soignants (70 %), infirmiers et sages-femmes (63 %).
Comment expliquer cette dégradation ? La structure de l'emploi par qualifications a en effet changé en trente ans, et la part des ouvriers dans la population active a fortement diminué, ce qui aurait dû réduire la fréquence globale d'exposition aux contraintes physiques. Sauf que la pénibilité s'est fortement accentuée au sein de chaque catégorie socioprofessionnelle, expliquant la hausse globale malgré le recul du nombre d'ouvriers.
Pour partie, cette accoissement des contraintes physiques déclarées reflète aussi une exigence plus grande par rapport aux conditions de travail. Celles-ci ont pris une place importante dans le débat social, du fait de l'action syndicale, du développement de la prévention des risques professionnels ou de l'intervention de l'Etat. Les salariés ont davantage pris conscience des enjeux liés à leurs conditions de travail et des contraintes qu'ils éprouvaient sans toujours pouvoir les désigner. En outre, les enquêtes montrent qu'à caractéristiques socioprofessionnelles identiques, le fait d'être soumis à plusieurs contraintes de rythme augmente la probabilité de déclarer des contraintes physiques. L'intensification du travail observée depuis 1984 fait davantage ressentir les contraintes physiques, qui deviennent plus pénibles lorsqu'on n'a plus le temps ni les marges de manoeuvre pour y faire face.