© Emilie Seto

Ne plus rogner sur la maintenance

par François Desriaux Stéphane Vincent / juillet 2018

A force de se recentrer sur leur coeur de métier, de rationaliser les activités périphériques, voire de les sous-traiter, les entreprises ont perdu de vue qu'il fallait "bichonner" la maintenance. Dans le monde d'avant, quand techniciens et ingénieurs tenaient le haut du pavé, prendre soin des machines et des systèmes était inscrit dans les gènes. Aujourd'hui, avec la montée en puissance des gestionnaires et des financiers, la logique s'est inversée. Réduire la maintenance préventive - qui coûte cher car elle immobilise les équipements - permet d'augmenter le taux de rendement global.
Tant pis s'il s'agit d'économies de court terme, qui vont générer des pannes et une moindre qualité des produits ou des services. Nos enquêtes à la SNCF et dans le secteur informatique en témoignent. Sans parler des conséquences potentiellement graves dans les industries à risque. Tant pis aussi pour les conditions de travail et les risques professionnels. Aussi bien pour les techniciens de maintenance, qui vont devoir jouer les pompiers en intervenant dans l'urgence, que pour les opérateurs en production industrielle ou servicielle contraintes de compenser les dysfonctionnements. Prendre soin de la maintenance, prévoir cette activité dès la conception, c'est aussi prendre soin du travail et de ceux qui le font.

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Veiller sur les outils pour préserver le travail

par Bernard Dugué ergonome / juillet 2018

Bien qu'essentielles au bon fonctionnement des entreprises, les activités de maintenance font office aujourd'hui de variable d'ajustement, avec des moyens réduits. Une source de désorganisation du travail et de situations à risque pour tous les salariés.

Les activités de maintenance sont au coeur du fonctionnement de nos systèmes de production. Leur mode d'organisation peut avoir des répercussions tant sur la qualité des produits fabriqués que sur le travail des agents de maintenance eux-mêmes ou sur celui des opérateurs de production. L'absence d'accident mortel sur des avions de ligne en 2017, année la plus sûre de l'histoire de l'aviation civile, a ainsi été attribuée pour partie à la qualité de la maintenance des appareils. A l'inverse, nombre de dysfonctionnements constatés dans le transport ferroviaire sont reliés à des défauts de maintenance de la signalisation, du matériel, des voies... C'est dire l'importance de ce type d'activité.

Mais la maintenance est considérée comme une variable d'ajustement dans le fonctionnement des entreprises. A l'instar d'autres activités, comme la logistique, elle a été lourdement impactée par les logiques de rationalisation de l'organisation du travail. Cela essentiellement de trois manières : une réduction des temps de maintenance préventive, une diminution des moyens internes et un recours accru à la sous-traitance

En production, les temps de maintenance préventive coûtent effectivement cher. Pendant ces opérations, en particulier dans les industries de process continu, on ne produit pas. Alors que réduire ces temps permet d'augmenter le taux de disponibilité des machines et d'améliorer le taux de rendement global (TRG), un des principaux indicateurs de production. Dans un premier temps du moins, quand les installations ne sont pas encore trop anciennes et que tout va bien.

Suivant la même logique, les moyens alloués à la maintenance interne sont fréquemment rognés. Cela se traduit par une augmentation de la charge de travail et une disponibilité moindre des agents de maintenance. Une diminution des ressources que le transfert de la maintenance de premier niveau vers les opérateurs de production, sur leur poste de travail, ne peut compenser, car il ne concerne que des opérations simples. Dès lors, les micro-incidents risquent de se multiplier sur les installations, venant alourdir la tâche des opérateurs. Autre incidence : lorsque la réduction des moyens touche la formation des agents de maintenance, ceux-ci peuvent se trouver en difficulté face à l'évolution de la technicité des équipements ou des systèmes d'information dont ils ont la charge.

Enfin, il est fréquent que les entreprises choisissent d'externaliser la maintenance, au détriment de la réactivité. Quand on a des agents de maintenance "sous la main", ces derniers peuvent profiter de leurs interventions pour régler quelques problèmes du quotidien, afin de mettre de l'huile dans les rouages... au sens propre comme au figuré. Ce que ne fera probablement pas un intervenant extérieur sollicité pour une tâche bien déterminée.

 

Des conditions de travail dégradées

 

Cette évolution vers une réduction des coûts de maintenance, dans une logique de rentabilité à court terme, génère de nombreuses contraintes pour les salariés. Elle accroît le nombre de pannes, de dysfonctionnements ou de problèmes de qualité, que les agents de maintenance vont devoir régler, souvent dans l'urgence et de façon coûteuse, parfois avec des prises de risque, notamment quand ces situations se répètent au quotidien. Elle contribue ainsi à dégrader les conditions de travail des opérateurs de production, confrontés, du fait d'installations moins bien entretenues ou de bugs à répétition, à plus de rattrapage, notamment sur les chaînes, à des pertes de temps et parfois à une augmentation de la pénibilité, quand l'usure des installations oblige à faire des efforts plus importants ou nécessite l'aide de collègues pas toujours disponibles.

Dans ces contextes, les interventions de maintenance dite curative, souvent "en mode pompier", viennent dérégler un peu plus une organisation du travail déjà bousculée. L'intensification du travail et les problèmes générés par une maintenance insuffisante ou un produit non performant peuvent créer des tensions dans les équipes et perturber les apprentissages pour les nouveaux salariés. De leur côté, les agents de maintenance, qu'ils soient internes ou sous-traitants, auront à coeur de résoudre les dysfonctionnements qui mettent les opérateurs en difficulté. Quitte à faire le tri entre les missions, tricher parfois avec les règles, intervenir au-delà des contrats passés avec leur entreprise. Au risque de rappels à l'ordre de leur hiérarchie ou de conflits entre eux sur la gestion des priorités.

Les effets de la "rationalisation" du travail sur les conditions d'exercice de la maintenance passent aussi par la façon dont sont menés aujourd'hui les projets de conception. Le raccourcissement actuel des phases d'étude ou de tests, en vue de démarrer au plus vite l'exploitation ou la vente, aboutit à reporter la mise au point des produits, des machines ou des systèmes informatiques sur la maintenance, prise en tenaille entre les contraintes des concepteurs et les réclamations des utilisateurs ou des clients. Cela peut conduire à des rappels de produits, de plus en plus fréquents, et à une saturation des services après-vente. Cela entraîne également le développement de discours commerciaux parfois mensongers, que les salariés devront assumer pour préserver l'image de leur entreprise.

Cet investissement insuffisant en conception se concrétise par un mode de régulation productive ou commerciale dénommé "adopt and adapt", soit "adopter et adapter" en français. On intègre en conditions de production un nouveau logiciel ou un nouvel équipement dont on sait pertinemment que toutes les fonctions ou caractéristiques ne sont pas optimisées. On procède ensuite aux adaptations nécessaires au fur et à mesure que les problèmes apparaissent.

 

Efforts de régulation

 

Ce schéma implique l'intervention de la maintenance, mais dans des conditions difficiles. Car il expose les opérateurs ou les utilisateurs à des situations de travail dégradées, en les obligeant à multiplier les efforts pour réguler et assurer malgré tout la production comme un service de qualité. Les concepteurs connaissent bien eux-mêmes les défauts des produits et savent ce qu'il faudrait faire pour y remédier, mais sont contraints de passer outre en raison des contraintes de temps qui leur sont imposées.

Enfin, il est rare que l'activité des agents de maintenance et les conditions nécessaires à sa réalisation soient prises en compte lors de la conception des produits, des équipements... Dans combien de cahiers des charges est-il demandé aux fournisseurs de démontrer que l'entretien ou la maintenance pourront être réalisés sans difficultés afin notamment de limiter la complexité des interventions et donc les prises de risque ? Les activités de maintenance ne figurent pas parmi les tâches les plus valorisées. Cela devrait être le cas. Elles contribuent en effet à éviter les gaspillages, à assurer l'efficience des systèmes de production, à préserver les conditions de travail. Bref, à prendre soin du travail de tous, concepteurs et utilisateurs.