© Emilie Seto

Ne plus rogner sur la maintenance

par François Desriaux Stéphane Vincent / juillet 2018

A force de se recentrer sur leur coeur de métier, de rationaliser les activités périphériques, voire de les sous-traiter, les entreprises ont perdu de vue qu'il fallait "bichonner" la maintenance. Dans le monde d'avant, quand techniciens et ingénieurs tenaient le haut du pavé, prendre soin des machines et des systèmes était inscrit dans les gènes. Aujourd'hui, avec la montée en puissance des gestionnaires et des financiers, la logique s'est inversée. Réduire la maintenance préventive - qui coûte cher car elle immobilise les équipements - permet d'augmenter le taux de rendement global.
Tant pis s'il s'agit d'économies de court terme, qui vont générer des pannes et une moindre qualité des produits ou des services. Nos enquêtes à la SNCF et dans le secteur informatique en témoignent. Sans parler des conséquences potentiellement graves dans les industries à risque. Tant pis aussi pour les conditions de travail et les risques professionnels. Aussi bien pour les techniciens de maintenance, qui vont devoir jouer les pompiers en intervenant dans l'urgence, que pour les opérateurs en production industrielle ou servicielle contraintes de compenser les dysfonctionnements. Prendre soin de la maintenance, prévoir cette activité dès la conception, c'est aussi prendre soin du travail et de ceux qui le font.

© Nathanaël Mergui/Mutualité française
© Nathanaël Mergui/Mutualité française

Le DIUO, un outil de prévention délaissé

par Frédéric Lavignette / juillet 2018

Dans le BTP, la prévention des risques liés à la maintenance est censée être prise en charge dès la conception des installations, grâce au dossier d'intervention ultérieure sur l'ouvrage (DIUO). Un dispositif peu ou mal appliqué, voire ignoré.

Depuis vingt-cinq ans, les opérations de maintenance sur des ouvrages de BTP sont censées être anticipées, afin de réduire les risques qui y sont liés. Le législateur a en effet mis en place en 1993 un dispositif spécifique : le dossier d'intervention ultérieure sur l'ouvrage ou DIUO. Ce document doit être réalisé par un coordonnateur sécurité et protection de la santé (CSPS), normalement désigné par le maître d'ouvrage dès la phase de conception d'un bâtiment ou d'une infrastructure. Le CSPS doit identifier toutes les interventions prévisibles d'entretien ou de dépannage à venir sur l'ouvrage (ascenseurs, luminaires, toitures...) et les risques attenants, avant de proposer au maître d'ouvrage et au maître d'oeuvre des mesures de prévention à intégrer dans les principes constructifs. Et ce, en privilégiant les dispositifs de protection collective.

Les mesures retenues constitueront le DIUO, qui sera stocké chez le gestionnaire du bien pour être consulté par les responsables des équipes de maintenance avant toute intervention. En théorie seulement, car il arrive que ce DIUO, pourtant obligatoire, n'existe tout simplement pas. "La finalité du DIUO n'est pas vécue de la même façon par tous les maîtres d'ouvrage, observe Jean-François Bertin, responsable de domaine CSPS à la direction technique de l'Organisme professionnel de prévention du BTP (OPPBTP). Tous n'ont pas la même sensibilité. Ceux dont la principale visée est de réaliser une opération financière se préoccupent fort peu des conditions de maintenance ultérieures." Idem pour les architectes, dès lors que l'aspect visuel du bâtiment l'emporte sur toute autre considération.

 

Des coordonnateurs pas assez nombreux

"Pour préserver les agents de maintenance, l'idéal serait que les CSPS soient désignés avant même le dépôt du permis de construire, estime Maria Le Calvez, du cabinet d'expertise Secafi. Or, quand ils réalisent leur mission, les appels d'offres des entreprises intervenant sur le chantier sont la plupart du temps déjà lancés et les installations déjà conçues." Dans ces conditions, difficile pour eux de suggérer suffisamment tôt des dispositifs de sécurité. Outre la difficulté à s'imposer face à différents acteurs, défendant chacun leurs intérêts immédiats, les CSPS rencontrent un autre problème : leur sous-représentation sur le territoire. Peu nombreux, ils n'ont pas assez de temps pour couvrir tous les chantiers. D'où des "DIUO lacunaires", souligne Pierre-Gaël Loréal, administrateur CFDT à l'OPPBTP. "Les maîtres d'ouvrage sont de moins en moins enclins à mettre de l'argent sur la table, précise- t-il. Si les missions des coordonnateurs sont moins bien rémunérées, la qualité des DIUO s'en ressent forcément."

 

Disparates, peu exploitables

En outre, selon Pierre-Gaël Loréal, ces dossiers sont rarement réclamés par les entreprises de maintenance, qui ne connaissent parfois pas l'existence du dispositif. Qui plus est, au fil des chantiers menés sur une même installation, plusieurs DIUO peuvent être dressés par différents coordonnateurs, selon des méthodes différentes. Résultat : des DIUO nombreux et disparates, difficilement exploitables. La qualité de leur rédaction et surtout leur harmonisation sur la forme demeurent donc un enjeu. Compte tenu de tous ces obstacles, le DIUO est aujourd'hui déprécié, souvent oublié, alors qu'il pourrait constituer un véritable outil de prévention. D'ici à quelques mois, un livre blanc sur la coordination SPS devrait paraître, en vue d'améliorer les conditions d'exercice de la profession. Celles de mise en oeuvre du DIUO en feront-elles partie ?

 

Repère

L'élaboration du dossier d'intervention ultérieure sur l'ouvrage est cadrée par les articles L. 4532-16 et R. 4532-97 du Code du travail. L'Organisme professionnel de prévention du BTP (OPPBTP) a consacré un dossier à la mise en oeuvre de ce dispositif sur son site Internet dédié aux acteurs de terrain. Pour le consulter, aller sur préventionbtp.fr.